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n’aura pas la force de résister longtemps. C’est dans une sorte de fascination qu’elle murmure :

— Ya Lalla… Il y a huit jours, j’ai voulu t’assassiner…

« M’asssassiner ? songeait Zoulikha, et pourquoi ?… »

Elle avait eu un mouvement de recul instinctif, qu’elle réprima aussitôt. Elle revint vite à cette tranquille assurance de ceux qui possèdent la foi et qui se sentent protégés par toute une lignée de croyants.

Mais Aïcha ne respirait plus d’angoisse. La voix douce s’était tue. Elle croyait que son amie se préparait à la repousser, ou qu’elle méditait quelque phrase pour la maudire. Aussi la regardait-elle avec des yeux embués où passait toute son âme suppliante.

— Ma sœur, dit-elle tout bas, tu me pardonnes ?

— Oh ! oui, je te pardonne, pauvre petite ! dit tout à coup Zoulikha en l’entourant de ses deux bras et en approchant encore son visage où se peignit une compassion immense. Seulement, tu vas me le dire : pourquoi voulais-tu me tuer ?

Aïcha hésita un moment. Puis la voix douce recommençait son bercement magique…

— Parce que… dit Aïcha. Parce que…

Et enfin, dans un élan décidé :

— Parce que j’aimais ton mari…

Cette fois, Zoulikha blêmit. Il lui fallut un effort stoïque pour contenir sa stupeur, pour étouffer le sentiment qui éclatait en elle.

— Mon mari ?… répéta-t-elle.

— Oui, continua la Bédouine, résolue à tout avouer, j’étais enfant quand je jouais avec Didenn, tout le jour. Devenue grande, je me suis attachée à lui comme la branche d’un jasmin autour d’une vigne. Il m’avait promis mariage, et je l’ai cru. Cette parole fut la nourriture de ma jeunesse, elle fut mon seul bonheur dans ma vie amère, elle fut l’étoile dans le noir de mon gourbi… J’avais péniblement retiré le seau du puits. Au moment où je croyais le saisir, la corde tout à coup s’est rompue entre mes mains, je suis tombée à la renverse, et depuis ce jour, je ne me suis plus relevée…

Voyant que Zoulikha se retirait d’elle, qu’elle semblait vouloir relâcher son étreinte, Aïcha s’interrompit soudain. Elle tendit ses mains suppliantes et, dans un hoquet qui l’étranglait à demi