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inquiétée du retard de sa fille. Lorsqu’elle revint de son évanouissement, elle était couchée sur son matelas, dans le gourbi. À son chevet, deux femmes chuchotaient entre elles, à voix basse, comme de vieilles connaissances. C’étaient sa mère et la femme de Didenn. Lalla Zoulikha était venue en effet demander des nouvelles de la gazelle, qu’elle n’avait plus revue depuis le soir du bain ; elle avait apporté de belles oranges et des pâtisseries au miel, — pour que la petite délayât sa salive, avait-elle dit à la vieille Messaouda, qui pleurait de reconnaissance…

— Et maintenant, ma mère… assez pleuré… Nous allons tâcher de la guérir…

— Oh ! si tu faisais cela, va lalla !… Ton esclave je deviendrais… Matin et soir, je mêlerais ton nom aux prières d’une mère… Vois : je n’ai que ce petit œil…

— Alors, dis-moi ce qui lui fait mal, mamma Messaouda, à ta gazelle…

Mais mamma Messaouda ne savait rien. Sa fille ne lui avait jamais dit… Elle l’avait vue un matin revenir de la ville, et se jeter sur ce matelas… Et elle pleurait, elle se déchirait les joues avec des berceuses… Et elle avait coupé la nourriture de son gosier… Et elle ne voulait plus sortir, elle qui aimait tant aller tous les soirs à la fontaine, d’où elle revenait pleine de gaité comme une grenade…

— Je ne sais pas, ya lalla… Ce mauvais œil qui est entré en elle n’a plus voulu la quitter…

Et mamma Messaouda balance la tête. C’est sa manière d’exprimer la désolation…

— Va, laisse-moi seule avec ta gazelle…

…La fille des marabouts, assise sur un coin du matelas, caresse avec amour le front de la Bédouine.

— Dis-moi, petite amie… Dis à ta sœur… Qu’est-ce qui te fait mal ?… Qu’est-ce qui t’a frappée ?… Et nous te guérirons…

— Guérir ! soupire la malade, oh ! guérir… Ce n’est pas un mal… C’est une brûlure… tenace comme la brûlure des moissons… Elle cuit, elle aveugle, elle perd une musulmane…

— Que Dieu éloigne ! prononce la pieuse Zoulikha.

Aïcha ferme les yeux. La voix douce à nouveau l’enchante. L’étreinte affectueuse a peu à peu raison de son humeur farouche. D’ailleurs, elle est bien abattue cette fois, et elle