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long sommeil. Elle cherche à se redresser, elle veut gagner de nouveau la petite lucarne. C’est l’heure où la mariée sort du bain.

— Je veux la voir passer, dit-elle à sa mère.

Et de nouveau, la voilà suspendue aux barreaux de fer, les cheveux en désordre, les traits convulsés. Elle attend le retour du Bain.

Mais, ô fatalité, au lieu de la mariée, ce fut Didenn encore qu’elle aperçut soudain, la-bas, remontant la route du Marabout. Il marchait vite. Ses burnous flottaient à la brise. Il avait hâte de regagner la maison de l’amour, où, croyait-il sans doute, sa femme l’attendait déjà… Ses bras étaient chargés de nombreux paquets noués par des faveurs… Un paquet entre autres se reconnaissait (et Aïcha le reconnut aussitôt) de loin, à son papier jaune et rigide, — le papier du droguiste marocain de la Place du Mechouar… Il contenait les précieuses bougies multicolores qui, selon l’usage, devaient brûler cette nuit autour de la veilleuse, dans la chambre des époux…

À cette vue, Aïcha retint un cri de détresse. Elle sentit sa douleur plus cuisante que jamais. Qu’allait-elle faire ? La rage grondait en elle. Une jalousie féroce secouait ses entrailles. Son sang de bédouine cria vengeance. Son œil s’alluma. Ce feu qui brûlait son corps, il fallait à la fin qu’elle l’éteignit…

Didenn avait rejoint sa maison. Il disparut derrière la lourde porte, dont les clous de cuivre brillèrent ce soir d’un miroitement narquois.

Mais déjà Aïcha était sur le seuil de son gourbi. Elle atteignait péniblement la lisière du petit bois… Enveloppée de son voile, elle venait s’appuyer contre le dôme de la fontaine… Elle cachait ses mains derrière le dos. Sa poitrine se soulevait à intervalles comme dans des sanglots étouffés. Elle attendit. L’air frais du soir se faisait humide. Le soleil déclinait par delà les cyprès. Le bruit des sources relâchées commençait à s’entendre du haut des moulins, parmi les rocs de la colline… Il n’y avait personne autour de la fontaine. Toute la tribu était allée saluer la mariée à la sortie du Hammam…

Elle n’attendit pas longtemps. Au bas de la route, elle vit serpenter le grand ruban blanc des femmes qui revenaient du bain. Bientôt passèrent devant elle les négresses qui portaient sur leurs têtes les costumes de rechange de ces bienheureuses…