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Messaouda, qui rentrait à ce moment courbée sous un énorme paquet d’ouvrage, eut un soupir.

— Hé ! murmura-t-elle, les uns ont le cœur sur une datte, les autres ont le cœur sur une braise !

— Mamma, dit Aïcha, donne-moi un bol de tisane…

— Pourquoi, ma fille ?… Tu veux dormir en plein jour ?

— Mamma, donne-moi un bol de tisane !

Mamma lui prépara un fendjal [1] plein de têtes de pavots et de chevilles noires, comme chaque soir, lorsqu’elle voulait briser les nerfs de sa fille et la forcer au sommeil. Sous le prompt effet du narcotique, au milieu de la chaleur dont rayonnaient les minces parois de la cabane, Aïrha et tout son désespoir sombrèrent dans un abime… Elle s’endormit.

Au hammam cependant, la mariée est assise demi-nue dans une fouta d’or sur un geb [2] de cuivre renversé. Dadda lui jette de l’eau de roses tiédie avec une tasse d’argent. Ses cheveux dénoués tombent en un lourd burnous autour de ses épaules. Et ses compagnes de l’aduler, de la chanter toujours plus belle.

Je te lave la tête et je te lance des you-you,
Je te montre aux amis avec orgueil
Ce que Dieu t’a faite !…

Et toujours des négresses qui apportent sur des plateaux damasquinés les pâtisseries au miel, les galettes au sucre et les tranches de gâteaux mousseline, et les boissons rafraîchissantes dans des bocaux de verre coloré… Et les souhaits de bonheur pleuvent sur la mariée et sur son sidi magnifique… La vapeur chaude monte sous le dôme de verre. Des suintements percent au pied des murs et le long dos colonnades. Les tasses des négresses se heurtent avec un bruit sourd. Un orchestre s’entend invisible, comme du haut de quelque nuage enchanté… Bientôt, les grandes fou tas de Tunis pailletées d’or apparaissent, drapant les beaux corps qui ruissellent… Les you you s’accentuent… On suit la mariée à la chambre du repos où des guirlandes de jasmin sont distribuées, tandis que l’on vase parer pour le retour…

Cinq heures. Dans le gourbi où Aïcha vient de s’éveiller passe un peu de fraîcheur. Aïcha lève la tête, soulagée par ce

  1. Tasse mauresque.
  2. Sorte de grand récipient de forme ronde, à bords évasés.