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Ces quelques instants d’attente lui parurent infinis. Qu’avait-il, ce soir ? Pourquoi ne venait-il pas? Elle demeura un moment pensive, une joue dans la paume de sa main… Puis tout à coup, ses yeux se rembrunirent… Si Didenn avait parlé, comme il en avait l’intention, et si ses parents lui avaient ordonné do s’éloigner comme la première fois ?…

— Allah ! prononça-t-elle.

Sa chair frémit. Une morsure aiguë lui laboura la poitrine. Elle se mit à marcher de nouveau pour secouer son angoisse. Elle voulut s’assurer qu’il ne rôdait point aux alentours. Elle recommença de scruter le petit bois dans tous les sens, sonda le ravin, remonta le long de la route du Marabout. Elle ne découvrit rien. Les cyprès grelottant au vent du soir, les sapins et les collines envahis d’ombre, la grande route sonore, tout parlait de solitude et d’abandon. Malgré l’heure tardive, elle ne se sentait point la force de s’arracher à ce lieu. La tête vide, les joues en feu, le regard vague, elle se laissa envelopper par la nuit noire.

Lorsqu’elle s’en alla enfin, pliée sous le poids de sa cruche, les épaules secouées d’un premier sanglot, le foulard d’or là-haut, témoin impassible de sa douleur, quitta lentement la vitre bleue, le petit rideau de soie retomba dans un geste satisfait…

L’ombre de Didenn ne reparut plus au Puits des Sept-Vierges. Qu’était devenu son ami ? Le mystère hantait la Bédouine au long de ses nuits fiévreuses. L’aurore la trouvait, assise à son travail, blême, d’œil creusé par l’insomnie et l’incertitude. Elle ne tenait plus en place. Sous le moindre prétexte, elle piquait l’aiguille dans son ouvrage, et sortait à petits pas du gourbi, où elle laissait sa mère inquiète, la guettant du coin de l’œil. Une fois dehors, elle s’échappait par un sentier de lauriers-roses qui aboutissait sur le derrière de la maison de Didenn. Là, elle se mettait à tourner, à tourner autour du domaine, rasant ses jardins tranquilles. Elle écoutait à la lourde porte piquée de clous de cuivre. Elle essayait de percer le secret des grands murs blancs, des fenêtres grillagées, des lucarnes ogivales. Des heures entières, elle demeurait sans respiration, le cou tendu, la face inquiète. Mais elle ne surpre-