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La vieille Messaouda épiait sa fille du coin de l’œil, étonnée, heureuse du changement qui s’était opéré si brusquement en elle. Levée dans le premier rayon d’Allah, Aïcha vaquait à l’ouvrage, fredonnant de ces berceuses marocaines où la joie de vivre s’exhale en exclamations de défi, en calembours à l’égard de ceux qui jadis vous narguèrent dans la détresse… Les nattes étaient lavées, les outres secouées de leur poussière, les yatagans d’ancêtres s’exhumaient de la rouille, le couscous fumait sur le seuil au-dessus du petit fourneau de terre cuite. La cabane prenait un air d’aisance et de fraîcheur. Et avant la nuit, trois ou quatre de ces dolmans de turcos sortaient achevés des mains de la jeune fille, qui ôtait l’aiguille aux doigts de sa mère, voulait assumer à elle seule toute la tâche…

Tous les soirs, après le coucher du soleil, elle retournait à la fontaine puiser de l’eau pour sa cruche et de l’ivresse pour son cœur. Didenn était toujours là qui l’attendait ; et de l’apercevoir à distance si majestueux sous ses burnous de penser que le bey de son enfance était revenu à elle, elle oubliait tout, les malédictions qui étaient passées sur sa tête, sa misère, et jusqu’au danger de pareilles entrevues…

Didenn avait complètement terminé ses études à la médersah. Il attendait que ses dix-sept ans fussent écoulés pour oser parler de mariage à sa mère. Déclarer à cette mère si austère qu’il voulait épouser Aïcha, la fille du Banni, la Bédouine misérable qui s’en allait sans une coiffe, les cheveux poursuivis par le Satan !… N’importe. Son grand amour lui donnerait du courage. Et il l’avouerait sans rougir. Il attendrait seulement l’instant favorable…

Pour le moment, il passait ses journées à la maison, taciturne, retiré dans sa grande chambre du fond de la cour. Tandis qu’au dehors le soleil enflammait les routes et que toute la famille s’abandonnait à la volupté des siestes sous les figuiers du jardin, allongé sur son matelas de soie, dans une gandourah immaculée, au milieu de l’isolement frais des mosaïques, il contemplait son rêve, ou bien s’essayait à composer sur sa tablette des hymnes à la louange de sa gazelle, dans la manière des vieux maitres marocains. Dès que la chaleur tombait, il s’habillait de ses plus beaux costumes, et sortait, un livre à la main. Un moment, il errait dans le petit bois de cyprès, où achevaient de chanter les cigales. Toutes les femmes du voisi-