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de tes yeux ! J’aurais tellement aimé te revoir une dernière fois pour te dire encore : Aicha, sois forte! Je remonterai un homme et tu seras ma femme ! Mais je ne t’ai pas revue… Quatre années j’ai vécu solitaire, enfermé dans la maison de mon vieil oncle comme un fils de la Kabale… Maintenant, je rends grâce à Allah que tu es sous mon regard… On peut tout attendre de la vie, Aicha. Mais parle, réponds-moi, qu’as-tu donc ?

Aïcha souffrait mille tortures. Elle se débattait de toutes ses forces contre le passé, contre cet amour défendu que le bouillant Didenn essayait de faire rejaillir des cendres. Tu seras ma femme !… Le charme l’enveloppait, invincible, la ramenait à ces jours où le Sidi la berçait de cette phrase… Seulement… à quoi bon renouer cet amour chimérique ? Tout les séparait. Didenn lui-même, comment osait-il ?…

Mais Didenn supportait mal ce silence qu’il attribuait à du dédain. L’aristocrate se raidissait en face de la Bédouine, jadis aimante et soumise, qui semblait aujourd’hui refuser l’offre de son cœur. À la fin, il s’emporta.

— Allons, parle, fille sans chance ! ou je jure de détourner ma face de toi sur le premier chemin où je te rencontrerai… et de le faire passer à ma gauche !

Aïcha poussa un cri.

— Et toi, Didenn, tu oublies la malédiction qui nous sépare ? Tu oublies que tu as juré avec ta famille entière, sur le tombeau de Sidi-Bou-Medine, de haïr à jamais mon pauvre père et tous ceux qui appartiendraient à sa race ? Mon cœur, mon cœur est comme un raisin plein par vous !…

Les sanglots la secouèrent.

Du repentir, de la pitié passa sur les traits du jeune homme.

— Aïcha ! protesta-t-il.

— C’est péché, continuait-elle, péché de vouloir essuyer ce couteau encore sur ma faible gorge ! Tu trouves que celui de mon père ne m’a pas assez blessée, assez salie ?

— Aïcha, cesse tes pleurs et apaise ton sang. Moi, je n’ai pas juré…

Elle le regarda, interdite, à travers ses sanglots.

— Tu dis ?…

— Moi, je n’ai pas juré !

— Tu dis que tu n’as pas juré à Sidi-Bou-Medine ?