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Didenn avait eu le temps de la reconnaître. Il s’était arrêté. Un flot de sang lui monta au visage. Un instant, il parut hésiter. Il regarda autour de lui, comme pour s’assurer si le petit bois et la route étaient bien déserts. Il releva ses beaux burnous par-dessus l’épaule, déposa son paquet de livres et sa plume au pied d’un arbre, et, avec précautions, tel un malfaiteur, il arriva, les bras tendus.

— Aïcha, prononça-t-il à voix basse, sur toi le bonheur, sur toi et sur ce jour où je te revois !… Que fais-tu ici, toute seule ? Comment ont passé sur toi ces années de malédiction, loin de ma protection, loin des pierres qui t’ont vue naître ?

Il cherchait les mains d’Aïcha pour les porter à ses lèvres. Mais Aïcha avait reculé, comme à l’approche du feu.

— Quoi ?… Didenn !… Tu oses… tu oses me parler ?… Ahhaï ?

Et elle fit le geste de se déchirer les joues.

Il resta surpris, offensé de cet accueil inattendu. Après avoir dévisagé son amie sans la comprendre :

— Aïcha, c’est ainsi que tu me reçois après quatre années d’absence ? Les temps d’éloignement et de misère t’ont fait oublier ceux qui ont partagé avec toi leur sel et leur cœur, qui ont versé pour toi le fiel avec les larmes ? Qui t’a dit de te montrer aujourd’hui une cherifa, de te voiler à mes yeux et de fuir mon approche ?

Aïcha avait baissé la tête. Elle ne pouvait soutenir plus longtemps ces yeux fascinateurs, même à travers son voile. Son sein s’oppressait. Sa gorge s’étranglait de paroles contenues. Bien autre chose que l’orgueil ou la pudibonderie lui liait la bouche et la faisait éviter les regards de cet homme.

Didenn la contemplait. Il la retrouvait plus belle, plus désirable, façonnée par le temps et le malheur. Il chercha à l’attendrir.

— Aïcha, tu m’en veux parce que je ne suis point venu te dire adieu avant de quitter la colline ? Je suis descendu par cette route, un soir, entre mon père et mon oncle, comme un chevreau que l’on traîne au sacrifice. Je suis entré à cette médersah, la cendre sur la tête. Aïcha, si tu avais pu te pencher sur mon cœur, tu aurais pleuré sept larmes de chacun