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infranchissable, la seule frontière inviolée est la volonté des hommes qui défendent leur pays, et celle-là, nous pouvons dire avec fierté que nous l’avons. L’unité de l’Allemagne demeure intacte, mais l’avenir est gros d’événements, l’ancien Empire marche vers une crise intérieure grave. C’est aux Alliés d’avoir une politique à l’égard de l’Allemagne, comme ils doivent en avoir une à l’égard des affaires d’Orient. Le traité nous offre d’un côté des certitudes immédiates, de l’autre des possibilités : il aura la valeur que nous aurons nous-mêmes.

Dans ce raccourci, où ne tient certes pas tout le discours de M. Clemenceau, nous avons essayé de donner une idée du mouvement qui l’anime et du sentiment général qui le soutient. Ce qui le caractérise, c’est qu’il est à la fois critique dans la première partie et confiant dans la seconde. Il y a bien quelque inégalité entre l’une et l’autre, et des objections se présentent à l’esprit. Par instant, on est tenté de trouver M. le Président du conseil bien philosophe et même un peu fataliste. C’est Renan qui reprochait jadis à M. Clemenceau de ne pas faire oraison. M. Clemenceau semble avoir eu à cœur de rattraper le temps perdu, et il est soudain allé bien loin dans la voie de la méditation. Sans doute c’est un spectacle émouvant et qui a sa beauté que de voir le vieil homme d’État, après un éclatant triomphe et de laborieuses négociations, apporter le témoignage un peu désabusé du chef qui a beaucoup appris, enseigner ce qu’il y a fatalement d’insuffisant dans les résultats et de nécessaire dans le renouvellement des efforts. M. le Président du Conseil a eu certainement du mérite à offrir une vue des choses aussi lucide, un réalisme aussi simple et parfois aussi rude à une Assemblée et à un peuple qui, encore tout chauds d’une lutte de cinq années, étaient disposésà tous les espoirs. L’histoire se demandera cependant si M. Clemenceau ne fait pas la part trop grande aux forces obscures, à limprévu, aux nécessités, et si l’art politique ne consiste pas précisément à imposer à la matière confuse des faits une forme définie. Nos princes et n<>s hommes d’État les plus grands ont mis tout leur soin à se tenir au carrefour des événements et à profiter des circonstances, à prévoir et à vouloir, à limiter les incertitudes du futur, à suivre de longs desseins, et pour faire le plus profond éloge du plus illustre d’entre eux, du cardinal de Richelieu, on a dit qu’il avait eu l’intention des choses qu’il avait faites. Mais ce sont là des considérations qu’il convient de laisser à l’avenir. Pour ce qui est du présent, le Sénat a été justement frappé de ce qu’il y avait de mâle dans les conclu-