Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand la guerre a éclaté, de grandes questions, de passionnantes controverses agitaient les physiciens. Elles avaient trait à la constitution même de la matière qui forme tous les corps sensibles, et, du même coup, à la nature des forces qui transforment, agitent et déplacent cette matière. Les plus vieux principes, ceux qu’une expérience séculaire paraissaient avoir le mieux établis, étaient soudain ébranlés par les faits déconcertants que la découverte de la radioactivité et des nouvelles radiations avaient apportés, et qui, surgissant pareils à des cyclones dans un monde de vérités fallacieuses, semblaient devoir jeter bas tout ce qu’on avait cru inébranlable. Le principe de’la conservation de l’énergie, celui de la conservation de la masse, la spécificité et l’indivisibilité des divers atomes chimiques, les lois même de la vieille mécanique rationnelle, — espoir suprême et suprême pensée des misonéistes ; tout cela se mettait soudain à vaciller, et chacun se demandait, — ce furent les dernières questions qui passionnèrent Henri Poincaré, — si l’édifice péniblement édifié par les physiciens de tous les temps et si magnifiquement couronné par ceux du xix 8 siècle, n’allait pas choir comme un château de cartes, sous le bombardement terrible et minuscule des rayons du radium.

Cinq années ont passé depuis. Elles ont fourni quelques recherches nouvelles et passionnantes, — dues surtout aux physiciens anglais et danois, — qui n’apportent pas encore de solutions définitives aux problèmes posés, mais qui en ravivent l’intérêt.

Le moment me paraît donc venu de jeter un bref coup d’œil sur ces problèmes qui en somme peuvent se résumer ainsi : Quelle est, d’après les découvertes récentes, la constitution intime de la matière ? Quelle est la nature de l’énergie dont est douée cette matière ? Quels rapports y a-t-il exactement entre l’une et l’autre ?

Il y a bien des façons d’aborder ces hautes questions, à la lumière des découvertes récentes de la physique. Chose curieuse, le public, — et même le public éclairé, — est actuellement peu au courant de ces problèmes, bien faits pourtant pour passionner les hommes qui pensent, et que tourmentent jusqu’à l’angoisse les étranges mystères de notre Univers. Cela vient sans doute de ce que, pour être exposées avec rigueur, ces questions nécessitent l’emploi des formes les plus ésotériques du langage mathématique. Voulant à tout prix éviter cet écueil, mais jugeant qu’il n’est rien qui ne puisse être exposé dans la langue de tout le monde, je serai obligé de dire des choses qui ne seront pas toujours rigoureusement correctes. Je prie ceux de mes lecteurs qui ne sont pas versés dans ces questions de me