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que la sienne. Il fallut la bataille du 8 août pour lui ouvrir les yeux. Ce jour-là, il se sentit perdu. Il vit clairement que l’ennemi qui le tenait à la gorge ne le lâcherait plus. Il sut que l’assaillant avait pris, dans ces deux journées, conscience de sa force : ces deux défaites lui montraient que « ce n’étaient plus les troupes de la vieille Allemagne. » Dès le 13 août, il tint conseil au Quartier Général avec le chancelier en présence de l’Empereur, et se déclara pour la paix immédiate. Hindenburg était plus confiant. Il espérait encore que l’on s’en tirerait à la grâce de Dieu. Le gouvernement ne fit rien. Cependant Foch, sans se lasser, précipitait ses coups, lorsque se produisit l’effondrement bulgare (15 septembre). Désormais la coalition était prise à revers, la route du Danube ouverte. Il fallait agir. Le 4 octobre, partait la demande d’armistice.

Il est impossible de lire ce récit pathéthique sans une satisfaction profonde, mêlée de cette angoisse qui fait le plaisir tragique. Nous y retrouvons toutes fraîches nos impressions d’il y a un an. Nous y voyons l’effet de nos coups. Nous entendons les cris de détresse que ces coups arrachaient à l’orgueil de l’ennemi. Et ici encore, une question, qui ne cessait de nous hanter durant cette merveilleuse campagne de l’été de 1918, se pose à nouveau devant nous : pourquoi Ludendorff, au lieu de battre largement en retraite, et d’ordonner un vaste repli, en évacuant, s’il le fallait, tous les territoires occupés, s’obstina-t-il à faire tête et s’épuisa-t-il en des résistances stériles ? Que lui coûtait-il de renouveler en grand sa plus belle manœuvre, celle de mars 1917, et de rompre le combat pour se retirer au besoin sur la Meuse ? Il ne sacrifiait que des territoires étrangers : Joffre, en août 1914, n’avait pas hésité à faire le sacrifice d’une partie de la France. Derrière la Meuse, s’il avait su s’y résigner tout de suite, il est hors de doute que Ludendorff nous eût mis en grand embarras : il pouvait y reformer ses forces dans une posture redoutable, et qui sait si nos troupes auraient continué à se battre du même cœur ? La guerre n’avait plus d’objet... Au lieu de suivre ce grand parti, Ludendorff s’obstina en chicanes de détail ; il acheva d’y mettre en pièces son armée, d’y consumer ses dernières réserves. Il fit une retraite imposante et, il faut le dire, supérieure : chef-d’œuvre funeste ! Cette retraite, au lieu de sauver son armée, en devint le tombeau.

Je me souviens, comme si c’était hier, des transports passionnés