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pitié de nos malheureuses troupes sur le front occidental. Mon esprit était en Russie, en Italie, mon cœur en France. Il y avait longtemps que j’avais perdu la joie. »

Dans ces conditions, Ludendorff reconnaît que l’Allemagne ne dut son salut qu’à la révolution russe. Son altitude devant cet événement inouï est du reste fort embarrassée. Il en conçoit un fort grand trouble. Il accuse naturellement la France et l’Angleterre de la chute du tsar. Il se défend de toute alliance avec les démocrates. Il avoue cependant qu’à la nouvelle des événements du 15 mars, « il se sentit un gros poids de moins sur le cœur. » Il ne peut pas nier non plus que le voyage de Lénine à travers l’Allemagne n’était pas possible sans la complicité du gouvernement allemand. « Ce voyage était nécessaire. Il fallait détruire la Russie. Mais il fallait prendre garde aussi à ne pas nous détruire nous-mêmes. » Tout cela n’est pas très clair. Ludendorff voudrait nous faire croire que les bolchevistes sont des compères qui font les affaires de l’Entente et qui ont partie liée avec nous. On n’a pas de peine, en effet, à supposer que cet enragé conservateur qu’est l’ancien quartier-maître général ne peut concevoir que de l’horreur pour l’extraordinaire carnaval des soviets. Pour ce Prussien de vieille roche, le cloaque bolcheviste ne peut être qu’un objet de scandale et de dégoût. Ah ! il n’est pas tendre pour ces héros de la troisième internationale ! « C’étaient des impérialistes qui ne rêvaient que d’établir le règne de l’anarchie sur la terre. Et c’étaient des nationalistes qui tenaient l’indépendance de la Pologne, de la Courlande et de la Lithuanie (en dépit du beau droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) pour autant de mesures hostiles à la Russie. » Il est probable que Ludendorff fut un des premiers en Allemagne à apercevoir le danger et l’infernale force de décomposition sociale qu’on venait d’introduire dans le monde. Après cela, il ne peut nier que le gouvernement allemand n’ait, en dépit des cris d’alarme du haut commandement, constamment joué un double jeu avec ces dangereux alliés.

Ludendorff frémit de rage en pensant aux scandaleuses négociations de Brest-Litovsk où les représentants de l’Empereur n’eurent pas honte de causer ; avec cette vermine. Il protesta de toutes ses forces contre l’introduction à Berlin de cet étrange ambassadeur, Joffre, qui faisait de son ambassade un