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si personnelle, a déchaînées. Le Sénat romain n’avait eu à délibérer que sur la sauce à laquelle le turbot serait mangé : tout Sénat romain qu’il était jusqu’en sa décadence, n’eût-il pas perdu de sa dignité, s’il eût été appelé à délibérer sur celle à laquelle il serait mangé lui-même ? Finalement, on a décidé qu’on ne sectionnerait point. Même le département de la Seine élirait en collège unique ses 54 députés, à moins cependant qu’à la dernière heure, il ne soit démontré qu’il est matériellement impossible d’organiser, de surveiller et de dépouiller un tel scrutin. En attendant, on s’est jeté dans cette solution paradoxale, par l’abus sophistique d’un argument vrai... « Plus le collège électoral est vaste, mieux la représentation proportionnelle y fonctionne. » Cela est sûr, au moins dans une certaine limite, qui est justement le point où les difficultés d’application touchent à l’impossibilité.

Ou, si l’on le veut, cela est très exact en théorie, mais n’est pas toujours réalisable en pratique. La bonne coupe, pour des élections au scrutin de liste avec représentation proportionnelle, paraît être de quinze à vingt-cinq noms par liste. Dans cette limite, le collège électoral est assez vaste, et il ne l’est pas trop. Il eût donc été raisonnable de « sectionner » le département de la Seine en deux ou trois circonscriptions ; seulement, on ne cherchait pas des raisons pour la raison, mais des raisons contre la raison. On ne voulait pas aboutir, mais faire échouer. Ici s’est dévoilé, plus tôt qu’on ne l’aurait cru, le vice profond de la demi-réforme, lequel est de prétendre faire jouer la représentation proportionnelle dans un cadre majoritaire. Nous l’avions bien dit : Le système majoritaire est un système, la représentation proportionnelle en est un autre ; le mélange des deux n’est rien. La prime que l’on offre à la majorité fausse tout et pousse aux coalitions, qui vont directement à l’opposé du but de la représentation proportionnelle. C’est une tentative vaine de conciliation des contradictoires : ce sera probablement un essai manqué, un effort perdu. Mais il s’agissait de faire un chemin que la Chambre était incapable de couvrir autrement que par étapes.

Ce qu’a mis le plus en lumière le spectacle fâcheux qu’elle a donné dans cette circonstance, c’est la nécessité d’une réforme parlementaire. La réforme parlementaire doit être l’objet réel et positif de la réforme électorale, qui ne peut être à elle-même son propre objet. A quoi servirait-il de changer l’instrument, si le produit n’était pas changé ? Il n’est pas certain que la racine du mal ne soit pas dans l’électeur, mais l’épanouissement du mal est dans l’élu. Hâtons-nous