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en tête, que nous avons déjà trop souvent citée, mais que nous ne nous lasserons pas de reproduire, parce qu’elle ne cessera jamais d’être la règle d’une sage politique : il est plus prudent de fonder sa sécurité sur soi-même que sur autrui.

En sacrifiant, dans la fameuse « option » du 17 mars, la frontière militaire du Rhin à des alliances dont personne, d’ailleurs, ne méconnaît ni ne conteste l’intérêt, on a failli à cette règle certaine. « Il fallait choisir, » répond-on. Non ; il fallait manœuvrer pour n’être pas obligé de choisir. En tout cas, il fallait peser et faire peser le choix. Renoncer à placer de préférence ses sûretés en soi-même, c’était se condamner à les demander à d’autres, ou du moins à les recevoir d’eux. A les recevoir telles qu’ils voudront ou qu’ils pourront les offrir.

C’est pourquoi l’on doit aujourd’hui suivre avec une attention extrême ce qui se passe ou ce qui se prépare au Sénat des États-Unis et dans l’opinion américaine. Nous avons dit que la paix de Versailles était pour nous en fonction des alliances qui, contre « une agression non provoquée » de l’Allemagne, sont réputées nous tenir lieu de frontière stratégique. Tout amendement ou toute réserve, toute restriction, même éventuelle, pratique donc littéralement une brèche dans notre frontière. Tout ce qui menace de faire obstacle au déclenchement automatique et immédiat de l’alliance risque d’en diminuer la valeur, en affaiblissant la garantie. C’est fait maintenant, et nous avons choisi. Il ne s’agit plus de regretter, mais d’utiliser au maximum, et, pour le reste, d’aviser. Plus le Sénat américain aura, s’il le fait comme on en annonce l’intention, introduit de réserves dans l’approbation du Traité, plus nous nous verrons à nouveau contraints de tirer de nous-mêmes les sûretés qui ne nous viendront point du dehors, et plus nous aurons à mesurer l’effort que nous devrons continuer non sur ce que nous voudrions faire, mais sur ce que nos alliés hésiteront à faire.

Quoi qu’il en puisse être demain, le Parlement français n’y pouvait pas grand’chose, et il n’est pas de matière où, par ailleurs omnipotent, il soit constitutionnellement plus impuissant. La discussion s’étant déroulée dans toute son ampleur, M. Louis Barthou ayant éloquemment développé les critiques et soutenu les conclusions de son rapport, il n’y avait plus, pour la clore, qu’à entendre le président de la Commission, M. René Viviani, et M. Clemenceau, président du Conseil. Puis il n’y avait plus qu’à faire circuler les urnes, qui furent rarement plus pareilles à celle du Destin, dont l’arrêt est fixé d’avance.