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qualités et un seul défaut, ne valait plus un clou d’un de ses quatre fers : avec tous les défauts, et la seule qualité qui lui manquait, qui sait où elle eût pu encore porter le paladin ?

Au sommet du Traité de paix, dressons sa plus haute vertu, arborons sa plus pure gloire. Il nous remet en possession de l’Alsace et de la Lorraine, nous réintègre dans notre bien. Et les considérants de l’arrêt doublent le prix du dispositif : « Les Hautes Puissances contractantes, ayant reconnu l’obligation morale de réparer le tort fait par l’Allemagne, en 1871, tant au droit de la France qu’à la volonté des populations d’Alsace et de Lorraine, séparées de leur patrie, malgré la protestation solennelle de leurs représentants à l’Assemblée de Bordeaux, sont d’accord sur les articles suivants... etc.. » N’y eût-il pas une ligne de plus dans le Traité qu’il serait impossible à un Français de ne pas l’accueillir avec joie et reconnaissance, car il restitue à la patrie deux millions de Français, et il répare, au flanc de la France, une mutilation qui saignait encore.

Toutefois, il ne ferme pas, il ne recoud pas des plaies plus anciennes, et, stratégiquement, prenons garde de l’oublier, notre flanc reste découvert. La frontière qui nous est rendue est celle que nous avions au 18 juillet 1870, c’est-à-dire celle de 1813, où les profonds calculs de la Prusse et les craintes ou les rancunes d’autres États avaient ménagé des ouvertures pour pouvoir au besoin venir faire la police chez ce peuple inconstant, frondeur et belliqueux auquel on se plaisait à imputer tous les troubles et tous les malheurs de l’Europe. C’est cette frontière, précisément, celle de 1870, celle de 1813, qui nous a livrés à l’ennemi, il y a cinquante ans. Il semble qu’après une victoire qui fut totale, ou qui ne manqua de l’être, par les armes mêmes, que faute de quelques jours et par suite de la capitulation précipitée de l’ennemi, le moins que nous fussions fondés à attendre, c’était notre frontière de 1814. Or, la frontière de 1814 était à peu près celle de 1790, celle que la France s’était faite vers la fin de la monarchie. En gros, elle se définit, pour ce qui touche l’Alsace et la Lorraine par la possession de Landau et de Sarrelouis. L’Alsace et la Lorraine de 1813 étaient déjà une Alsace et une Lorraine amputées. Nous avions sur l’Alsace et la Lorraine de 1814 et de 1790 les mêmes droits que sur l’Alsace et la Lorraine de 1815. Ou si l’on veut parler un langage qui fut le nôtre sans que personne ait eu à nous l’apprendre, Landau et Sarrelouis avaient le même droit de vouloir être avec nous que Strasbourg et Metz, et