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Heureusement a-t-il pour lui le chef d’État-major, Alexandre do Beauharnais, qui, depuis le 4 septembre 1792, a succédé à son ami Victor de Broglie suspendu et bientôt condamné. Beauharnais est en faveur auprès des Jacobins de Strasbourg : ce n’est pas lui qui refusera de les fréquenter. Malet doit être à son goût : mêmes théories, mêmes systèmes, mêmes déclamations. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’ils s’entendent. « Je ne sais pas qui est-ce qui a pu te dire, écrit-il à sa femme le 7 janvier 1793, que j’avais un régiment. Si cela était, je te l’aurais mandé et cela ne peut pas être puisqu’il faut passer par le grade de lieutenant-colonel que je n’ai pas encore. Et puis il est rare qu’on vienne chercher ceux qui ne demandent rien, et tu sais que je ne demanderai jamais rien que de servir la République le plus utilement possible. Je sais cependant que le général Beauharnais a écrit au ministre en ma faveur et cela ne m’étonnerait pas quand je serais fait lieutenant-colonel. Je mettrais cependant une sorte d’amour-propre à finir la guerre dans le grade où je l’ai commencée. Cela prouverait au moins à mes ennemis que ce n’est pas l’ambition qui m’a fait agir. Au reste, si l’on me donne, j’accepterai... »

Et comme il ne fallait manquer aucune pratique extérieure pour plaire aux Jacobins du lieu, Malet se fit accommoder à leur mode. « Il me parait, écrit-il à sa femme le 19 janvier, que tu me recevras mal avec mes cheveux coupés. Si je le croyais, tu dois bien imaginer que je n’irais pas te voir. Tu dis que l’on peut être fort bon patriote sans cela et j’en suis bien convaincu : aussi n’est-ce pas pour être meilleur patriote. J’espère que tu penses assez bien de moi pour croire que mon patriotisme n’est pas dans mes cheveux. » Malet ne tarde point à être récompensé et, après le grade d’adjudant-général chef de bataillon (16 mars 1793), il obtient, grâce à Beauharnais, le grade d’adjudant-général chef de brigade (20 mai).

Successivement, tous les généraux auxquels il s’est attaché et dont pouvaient le rapprocher les origines et l’éducation, ont été suspendus comme suspects ou ont dû, comme ci-devant nobles, s’écarter de l’armée : il pressent que ce moment va venir pour lui. En donnant à sa femme, le 2 septembre 1793, des nouvelles optimistes, il lui écrit : « Que, du moins, lorsque j’irai te rejoindre, je te trouve en bonne santé. Et ce moment avance tous les jours. Si je suis suspendu comme ci-devant,