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aidée des leçons de son maître, Bela Kuhn, figure sinistre et grotesque, face de Pierrot assassin, l’a eu complètement usée. Il a voulu voler de ses propres ailes, s’est grisé de son omnipotence, n’a plus daigné rien entendre, si bien que, las de le morigérer en vain et de le rappeler aux bonnes méthodes, l’inventeur du système s’est fâché, l’a lâché, et voilà le disciple, aussi maladroit que présomptueux, tombé à plat. Il a pris la fuite, a essayé de franchir la frontière voisine, mais il y a été arrêté, interné dans un camp. Un de ses camarades de tyrannie, un de ses compagnons de détresse, son ministre Szamuely, a mieux aimé une autre fin, et s’est suicidé. L’Autriche, qui avait pu apprécier les présents de Moscou et de Budapest, les a énergiquement repoussés ; ses difficultés lui suffisent ; elle n’éprouve pas le besoin d’y ajouter.

Au surplus, son « chancelier » Karl Renner ne manœuvre pas mal. Il a de la souplesse et du doigté : il a, dans sa bonhomie ronde, de la finesse, et, à la différence d’un corps prussien, son épine dorsale est bien articulée. Il s’est fort opportunément débarrassé de son ministre des Affaires étrangères Bauer (car ils en avaient un aussi à Vienne) qui, dès le premier jour, avait montré un zèle intempérant pour la réunion de l’Autriche de langue allemande à l’Allemagne du Reich. Si ce beau feu s’était refroidi, c’est que la carte à payer s’annonçait comme effrayante, et que l’Autriche tenait avant tout à n’en pas supporter plus que sa part. Mais le Dr Bauer avait déjà retenu les sièges de ses compatriotes et marqué sa place sur les bancs de l’Assemblée de Weimar. Au surplus, en regardant avec plaisir opérer M. Renner, ne nous faisons point sur son compte d’illusions exagérées. Dans ses effusions télégraphiquement amicales avec le ministre d’Empire Millier, premier signataire allemand du Traité de Versailles, il y a autre chose que des compliments ; et ce qui y est le plus est ce qui n’est pas écrit. Soyons sûrs que, sans être grand déchiffreur de cryptogrammes, M. Millier a su lire entre les lignes. A l’heure où elle a été expédiée, cette dépêche est, sous un témoignage d’affection à un coreligionnaire politique, une déclaration d’amour et un serment de fidélité à l’Allemagne. Qu’on ne trouve pas moins sous ces mots innocents et dans ces phases banales. Le gemuth viennois est, en l’espèce, l’autre visage de la ruse allemande. Laissons venir, mais ne nous livrons pas. Et que la politesse de notre sourire ne couvre que l’inflexibilité de notre résolution, au delà des concessions utiles et possibles.

Malgré des tentatives répétées, le bolchevisme semble n’avoir pas