Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour de bon, sous la protection de la flotte ; quand elle se sera retirée d’Arkangel, et si elle se retire aussi des rives de la Caspienne, il y aura en Russie une place de moins occupée par l’ordre, une place de plus exposée au désordre. Déjà la politique des Puissances alliées et associées n’y a été que trop abstentionniste. Elles n’ont peut-être pas vu très clairement, ni su très exactement, ni voulu très fermement ce qu’elles voulaient y faire. Elles n’ont guère vu, su, voulu que ce qu’elles ne voulaient pas, et, toute révérence gardée envers des hommes d’État qui viennent de rendre à l’humanité de signalés services, peut-être ont-ils été un peu à court de connaissances ou de renseignements. Ou peut-être encore se sont-ils rendu compte qu’ils avaient des idées, des desseins, des volontés différentes ou contradictoires. Une vue d’ensemble eût dû dominer toute leur conduite, et elle était, dans tous les cas, nécessaire pour les décider. Veut-on ou ne veut-on pas une Russie forte, qui ne peut être qu’une grande Russie, qui ne peut être qu’une Russie non point obligatoirement unifiée sous un seul gouvernement central, lequel, absolutiste ou démagogique, ressemblerait beaucoup au tsarisme, mais une Russie unie et que de justes autonomies n’auraient pas réduite en morceaux ? Tout le monde le veut-il, ou quelqu’un n’en veut-il pas, et, si quelqu’un n’en veut pas, quelle qu’en soit la raison, que veut-il ? Dans la paix qui, tant bien que mal, est faite pour l’Occident de l’Europe, la Russie apparaît en Orient comme un trou énorme, presque comme un abîme ouvert.

La Hongrie, aujourd’hui, se félicite de la chute de Bêla Kuhn. Par cet ancien famulus de Lénine, le bolchevisme russe l’avait soviétisée. Chose curieuse, que le premier État pourri par la contagion ait été l’un de ceux qui avaient le droit de se vanter de la vie d’État la plus longue, la plus active, la plus dense et la plus intense ; mais il est vrai que la guerre l’avait miné, disjoint et déchiré. Comment et à quelles fins, par quelles complicités intérieures, et par quels calculs tout ensemble compliqués et puérils, le bolchevisme, à Budapest, (nous ne disons pas le bolchevisme magyar, et nous ne devrions pas dire le bolchevisme russe ; c’est un phénomène, nettement caractérisé, que produit, spontanément ou par réflexe, un même peuple chez toutes les nations) par quelles secrètes ententes, donc, et quels discrets effacements le bolchevisme a-t-il été, à Budapest, introduit et colporté ? Il y a là une petite énigme, qui n’est pas un bien grand mystère. L’intéressant, et l’important, est qu’après avoir, pendant plusieurs mois, usé autant qu’il a pu de sa malfaisance personnelle,