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poser, pour le moment, c’est, du Nord au Sud du territoire de l’ancien Empire russe, une mêlée de tous contre tous. Rien que sur la frontière occidentale de la Russie, que de points de friction entre Finlandais, Suédois et Russes, entre Esthoniens, Lettons et Allemands, entre Polonais et Lithuaniens, enire Polonais et Oukrainiens, entre Roumains et Russes en Bessarabie ; à l’Est de cette première ligne, entre Russes de Lénine ou de Trotsky et Russes de Koltchak, de Denikine et de cent autres jusqu’aux montagnes du Caucase et jusqu’aux plaines de la Sibérie ; à l’Ouest, entre Polonais et Allemands en Posnanie, entre Polonais et Tchéco-Slovaques en Haute-Silésie et dans la Silésie de Teschen ; entre Polonais et Ruthènes en Galicie, entre Magyars et Roumains en Transylvanie, entre Roumains et Serbes dans le Banat ; comme complication à la fois interne et externe, le bolchevisme hongrois correspondant au bolchevisme moscovite ; plus à l’Ouest encore, en arrière-garde ou, par rapport à nous, en avant-garde, des difficultés, des chicanes entre Autrichiens et Yougo-Slaves sur la Save et la Drave, entre Yougoslaves et italiens à Fiume et en Dalmatie, entre Italiens et Albanais vers Valona, entre Italiens et Grecs en Épire, entre Grecs, Serbes et Bulgares en Roumélie ; et ce n’est que la minuscule Europe. Mais, jusqu’aux confins les plus reculés de la profonde Asie, les races s’affrontent et les peuplades s’agitent. Grecs et Italiens disputent aux Turcs et se disputent entre eux Smyrne et Aidin dans l’Asie antérieure, comme le Japon et la Chine, en Extrême-Orient, se disputent le Chan-toung, La Perse, l’Afghanistan, le Nord de l’Inde, la Mésopotamie, la Syrie, l’Arabie, le monde musulman asiatique en général, sont des foyers embrasés, sur lesquels soufflent implacablement des bouches que nous connaissons bien. Par l’Egypte et la Tripolitaine, le bouillonnement pourrait gagner l’Afrique.

Mais, sans verser dans le pessimisme et sans vouloir prévoir les malheurs de si loin, tenons-nous en à la paix signée et déjà ratifiée par la partie qui a succombé, à la paix avec l’Allemagne. Paix signée, répétons-le, mais non paix parfaite, ni même paix faite : paix qui sera à faire jour par jour, pendant quinze ans. Nous avons résumé notre jugement sur elle en disant que les conditions en sont dures, mais que les clauses d’exécution en sont faibles. Le tout est donc de savoir comment l’Allemagne l’exécutera, comment, dès à présent, elle s’apprête à l’exécuter. Ce n’est pas montrer à son égard une méfiance exagérée que de ne présumer ni sa bonne foi ni sa bonne volonté. En dehors même de sa diathèse psychologique, qui fait