Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là-dessus, le comte Brockdorff-Rantzau avait fait observer (Remarques de la Délégation allemande sur les conditions de la paix) : « Le gouvernement allemand ne revendique aucun territoire qui, le 1er août 1914, faisait partie de l’Empire russe d’alors. Pour ce qui est de la question de l’organisation comme État, spécialement de l’indépendance des différents territoires autrefois russes, le gouvernement allemand y voit une question d’ordre intérieur qui regarde ces territoires eux-mêmes, question dans laquelle il n’a pas l’intention d’intervenir. Quant aux traités de paix de Brest-Litovsk, et à leurs actes additionnels, le gouvernement allemand y a déjà renoncé par l’article 15 de la Convention d’armistice. L’Allemagne ne saurait admettre un droit qu’aurait la Russie à être rétablie et dédommagée par l’Allemagne. Quant aux traités et aux conventions entre les Puissances alliées et les États qui se sont formés ou sont en train de se former sur le territoire de l’ancien Empire russe, le gouvernement allemand ne saurait les reconnaître que lorsqu’il aura pris connaissance du contenu desdites conventions et aura acquis la conviction que la reconnaissance de ces conventions ne lui sera pas rendue impossible, soit par ses relations antérieures avec la Russie ou avec telles parties de l’ancien Empire russe, soit par son désir de vivre en paix et amitié avec tous ses voisins de l’Est. La même remarque s’applique à la reconnaissance des frontières de ces États. »

La Réponse des Puissances alliées et associées aux Remarques de la Délégation allemande expédie vite l’argument : « Les Puissances alliées et associées, se contente-t-elle de répliquer, estiment qu’aucune des réserves ou des observations présentées par la Délégation allemande au sujet de la Russie ne nécessite le moindre changement aux clauses du Traité y afférentes. » Pas un mot de plus. Pourtant, il y avait une Russie, et pourtant il faut qu’il y en ait une. Dans les textes, les choses en sont restées là. Et dans les faits, voici où elles en sont.

Du fond du golfe de Bothnie à la Mer-Noire, à la mer d’Azov et à la mer Caspienne, l’Europe est coupée par une ligne de feu. Ligne non pas droite, mais brisée, qui, par endroits, se double ou se triple. On a tôt fait de parler des « États qui se sont formés ou sont en train de se former sur le territoire de l’ancien Empire russe. » Mais, la Pologne exceptée, combien de ces États peuvent être considérés comme formés ? Est-il certain qu’il soit de l’intérêt général, et que ce soit servir la cause de la paix européenne, de désirer que tant de petits États se forment ? Sans résoudre la question, et même sans la