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moins rigoureux, seraient de nature à justifier ce pessimisme. Mais ces incidents, fort rares d’ailleurs et sévèrement réprimés, n’étaient point particuliers à la brigade. Ils ne l’étaient même point à la présente guerre. Tacite rapporte qu’au temps d’Arminîus des guerriers germains, la nuit, poussaient leurs chevaux jusqu’au pied des retranchements et promettaient au nom de leur chef à tout déserteur une femme, des terres et cent sesterces par jour. Aucun légionnaire ne se laissait prendre à ces offres insidieuses qui, sous une forme à peine modifiée et à dix-huit siècles de distance, ne trouvaient pas chez nos marins une oreille plus complaisante. L’esprit de la brigade demeurait. Il survivait à toutes les transformations, et les quatre compagnies, qui venaient d’essuyer sans rompre pied, au Mamelon-Vert, le plus terrible torpillage de la campagne, montraient assez que leur capacité de résistance tout au moins n’avait subi aucun fléchissement.

Le 4 novembre, l’amiral traitait à sa table quelques artilleurs de marque dont le colonel Raguin, commandant le 32e d’artillerie, et le chef d’escadron Quinton, commandant le groupe du 118e d’artillerie lourde. Au dessert, coup de téléphone du général Hély d’Oissel : de source officieuse, le général commandant le 36e C. A. annonçait au commandant de la brigade de fusiliers marins qu’il était promu vice-amiral, — et la nouvelle était presque tout de suite confirmée ; officiellement il lui mandait que le nouveau ministre de la Marine, qui avait pris pour chef de cabinet le capitaine de vaisseau Schwerer, promu lui-même contre-amiral, l’attendait à Paris dans les 48 heures. L’amiral Ronarc’h passa ses pouvoirs au « colonel » Paillet, rédigea dans la nuit un ordre du jour simple et grave, — où il remerciait en quelques mots les troupes qu’il avait eues pendant quinze mois sous son commandement, — et partit pour Paris le lendemain.

La brigade ne se méprit pas à ce départ. Elle y vit le signe de sa dislocation prochaine et n’en fut pas autrement affectée. Quelques vieux gradés sentimentaux, comme le premier maître Monguérard, s’attendrissaient seuls à la pensée de quitter pour toujours ce grand pays insipide, plus semblable à un théorème agraire qu’à une campagne naturelle et qui, entre ses routes droites et ses digues rectilignes, retournait à la sauvagerie primitive et au marécage sans perdre son aspect linéaire. Le com-