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coup de fusils étaient brisés ou remplis de terre. C’est ainsi qu’en dépit des pertes que la garnison de l’Yser Sud et les mitrailleuses de l’enseigne Domenech lui avaient fait subir, l’ennemi, refoulé par ses propres mitrailleuses d’ailleurs, quand il faisait mine de reculer, put arriver à la baïonnette, au nombre de 30 ou 40, sur le fortin W et s’en emparer assez facilement. Après avoir fait le tour du fortin, les assaillants cberchent à se rabattre sur les ruines de la ferme W où le premier maître Robic s’obstine encore avec une poignée d’hommes. Trois heures durant, ce gradé indomptable tint l’ennemi en respect par ses salves. Mais l’ennemi avait réussi à installer une mitrailleuse dans le fortin.

— Nous allons nous faire zigouiller, dit un marin à Robic.

— Mon garçon, répond le premier maitre, nous sommes précisément ici pour ça.

Tous ses hommes tombent l’un après l’autre. Il n’en reste que trois. Robic est atteint à son tour d’une balle dans la tête. À ce moment-là seulement et par crainte d’être cerné, il consent à se replier sur la ferme de l’Union. Mais son farouche entêtement a permis aux blessés les plus valides de se traîner jusqu’à la tranchée Colza d’où ils sont conduits à l’arrière. L’ennemi céans n’aura pour butin que des mourants ou des morts.

Plus heureuse que le fortin et la ferme W, la ferme de l’Union, attaquée vers la même heure, mais protégée par une ligne d’eau où l’ennemi ne parvenait pas à jeter de passerelle, continuait à résister. Mais nos pertes, là encore, avaient été grandes. L’un des premiers, tout au commencement de l’attaque, vers six heures du soir, l’enseigne Goudot tombait frappé d’une balle en plein cœur ; le premier maître Mével était blessé gravement. Blessé aussi, d’une balle au cou, le second maitre Boullaire, qui avait pris le commandement de la 4e section et qui le conserva jusqu’au bout malgré sa blessure. Il n’avait plus avec lui qu’une vingtaine d’hommes sur cinquante-cinq fusils, le reste tué, blessé ou enseveli sous les décombres de la ferme. Ce petit carré de défenseurs irréductibles et « qu’un même souffle anime[1] » suffit quelque temps à contenir l’ennemi. Mais il se réduisait de minute en minute et son feu faiblissait sensiblement. Alors, disent les témoins,

  1. Rapport du commandant Lefebvre.