Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’astre déclinait. Un Bossuet trouvait de quoi méditer sur les Empires, sur les vicissitudes de la fortune qui les élève et les abat. Cet impérissable samedi 28 juin, à Versailles, les lieux mêmes offraient leur témoignage, et, dans le décor magnifique, s’inscrivait la leçon du double spectacle qu’à quarante-huit ans de distance il encadra. Tous les Empires, à travers les âges, se sont ruinés par le « colossal. » Ils meurent d’un délire d’orgueil. Une heure vient où ils perdent le sens de la mesure, et dépassent leur vrai pouvoir. Alors, la Némésis, par qui les dieux font leur géométrie et par qui le monde se tient et se remet en équilibre, les rejette durement au delà de la limite, au-dessous du degré qu’ils n’auraient pas dû franchir. Ils subissent avec plus ou moins de dignité, et si on l’ose dire, plus ou moins d’élégance, cette loi éternelle et universelle : c’est l’épreuve décisive, qui montre la qualité de leurs âmes. La comparaison aura été à l’honneur de l’âme française...

A peine la cérémonie était-elle achevée que la presse en jetait les détails à la curiosité des foules anxieuses de savoir que la paix était signée. Mais les circonstances extérieures, les présences et les absences, la couleur du tapis et la forme de l’encrier, ce qu’on voit de tout près et tout de suite, ce n’est, en quelque sorte, que l’enveloppe, que la couverture du traité. Nous qui avons eu un peu plus de recul, essayons de pénétrer un peu plus avant, et, en cherchant l’esprit sous la lettre, en posant bien dans le milieu allemand l’acte ou le geste de la soumission allemande, de nous assurer si la paix est faite. Nous connaissons assez vaguement la manière dont la nouvelle a été accueillie outre Rhin : il semble pourtant, d’après des informations concordantes, que l’effet produit ait été surtout un effet de stupeur ; de stupeur telle qu’elle revêt l’aspect d’une espèce d’indifférence ou d’inconscience, avec, çà et là, quelque éclat de colère, et partout un arrière-fond de haine et de rancune cachées ; point de honte, encore moins de repentir, et encore moins de ferme propos. Les paroles, les pensées, ce qui est dit et ce qui n’est pas dit, ce qui se fait ostensiblement et ce qui se combine secrètement, la conciliation des contraires entre le gouvernement et la révolution, la conspiration muette de ceux qui donnent les ordres et de ceux qui les transgressent, tout nous invite à ne pas trop nous y fier.

Avant de se résoudre à signer, l’Allemagne s’est débattue, et, jusqu’en acceptant, elle s’est efforcée de refuser. Averti par M. Clemenceau que « le moment de la discussion est passé, » que les Puissances alliées et associées « ne peuvent accepter ni reconnaître