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tirent tout un temps la brigade. Comment laisser passer le mardi gras ou la Mi-Carême et leur seigneur Malargé[1] sans les fêter de quelques rasades ? Et si, dans les garde-robe des anciens habitants de Nieuport, ces grands fous ont mis la main sur quelque haut de forme pelucheux ou sur quelque antique casaquin à ramage du temps des Orange-Nassau, comment leur défendre de s’en affubler ? Luc Platt, dans une de ses lettres, nous montre, en une villa dont le salon « est resté intact, » une escouade de « Jean Gouin » se prélassant « dans des fauteuils rembourrés » et prenant « béatement le café pendant qu’un « collègue » joue sur le piano les airs à la mode d’avant la guerre. » La musique, c’est en effet « la grande distraction » et, pour certains, la suprême et un peu perverse volupté de ce Nieuport en proie à toutes les démences de l’artillerie boche, sans que les plus effroyables explosions interrompent la rêveuse sonate de Mozart dont se grise quelque jeune enseigne mélomane ou les tapageurs accords de cette « diane maritime » que plaque sur le piano d’un immeuble voisin le facétieux quartier-maître Luc Platt :

Tous les marins de la Basse-Bretagne
Sont dégourdis comme des manch’s à balai…

On danse même quelquefois. Maurice Faivre, le 26 avril, nous donne le programme d’une de ces soirées nieuportaises : « Polkas et valses, avec intermèdes de chansons et de gigues américaines… Puis, continue-t-il, la nuit a entraîné les invités chez eux et je suis resté seul à « adapter » du Grieg. Il y a des fleurs dans le salon et le piano a le son un peu grêle du piano de Verlaine. La fenêtre fermée laissait venir à moi le parfum des arbres mouillés, car il n’y a plus une vitre… Le bombardement est intense au Nord. »

Finale inattendue ! Ces bombardements de Nieuport par 420 et 220, ceux des tranchées de première et deuxième lignes par torpilles, shrapnells, grenades et autres projectiles de modèle perfectionné, où il faut faire une place à part au « saucisson » couplé de 90 centimètres, d’un effet foudroyant ; les répliques de notre propre artillerie et de l’artillerie anglaise de haute mer et sur chalands, renforcées en avril par une batterie neuve

  1. Personnification bretonne du carnaval.