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Rien ne bouge, ou rien ne paraît bouger pendant le jour dans ces espaces pestilentiels. Mais nos hommes ne se laissent pas prendre à ces faux semblants : l’ennemi à qui ils ont affaire, ils le savent aux aguets dans ses trous et toujours en quête de quelque nouvelle ruse diabolique. Dès le soir du 5 février, escomptant leur inexpérience, un radeau boche, à la tombée de la nuit, tentait « de venir s’insinuer dans une coupure de la berge » droite de l’Yser tenue par la 11e compagnie. Mais l’enseigne Hillairet veillait : « Une salve a vite fait de faire sauter à terre les occupants, et le radeau (planches et barriques) passe en dérive pour aller s’arrêter plus bas, dans un barrage, » chez les hommes de la compagnie Béra.

Pour tenter des coups pareils, il faut être des marins et nos Jean Gouin en concluent fort sagement qu’ils ont encore devant eux des « collègues » de la marine boche. À tout hasard et par crainte que la tentative ne se reproduise ou ne soit la préface de quelque attaque en force, on double les postes de veille. Mais la nuit se déroule dans le calme, troublée seulement de temps en autre par « le cri plaintif des vanneaux et des courlis qui nichent dans ces marécages, » le chuintement des fusées éclairantes qui montent de l’autre côte du fleuve, épanchant une lumière neigeuse sur la désolation du paysage, ou les coups de marteau qu’on entend du côté des fermes C et D, près du coude de l’Yser, que les Boches travaillent sans doute à organiser. Au matin nous signalerons ces réduits suspects à notre artillerie qui y enverra quelques volées de 75. Un coq, dans une métairie abandonnée, salue le jour ; trois porcs, sur un tas de fumier, jouent du groin. Gros sujet de convoitise pour nos hommes ! Il faut les empêcher de quitter les « gourbis » pour tenter un investissement du tas de fumier et de ses hôtes. La journée se passe sans incident, comme les précédentes. Peu ou pas de pertes jusqu’à la relève, qui est faite par deux compagnies du ler bataillon. Et tout serait pour le mieux, dans le plus humide et le plus malodorant des soussecteurs, si, parvenues à Oostdunkerque, où elles doivent prendre leur cantonnement de repos, les 9e et 10e compagnies, déjà éreintées par une longue marche nocturne dans des terrains détrempés, n’apprenaient que leur cantonnement est changé et qu’on l’a transféré en pleine dune dans les baraquements en planches nouvellement construits par les zouaves.