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L’action, on l’a vu maintenant, s’est déroulée conformément à ce scénario, mais avec plus de rapidité. L’Allemagne a supprimé le prologue. Scheidemann n’a pas attendu le 23 juin, pour donner sa démission. Son ministère s’étant partagé par moitié, — sept voix pour la signature et sept contre, — il s’est effondré. Le président Ebert, après quelques fausses démarches, a appelé au pouvoir le social-démocrate Bauer, derrière qui apparaît, comme suppléant, en réalité comme mentor, l’inévitable Erzberger. Aussitôt, l’Assemblée nationale, consultée, s’est prononcée, par une majorité de 99 voix, pour l’acceptation du traité, évidemment sous conditions et sous réserves. Afin de remplir l’intermède, le comte Brockdorff-Rantzau et ses collaborateurs s’étaient livrés à une besogne de scoliastes, épluchant lettre par lettre les différentes leçons et cherchant, dans les fautes d’impression, des échappatoires. Ils ont été, en se retirant, remplacés par une équipe de casuistes. Mais, en toute vérité, notre dernier mot était dit. M. Clemenceau l’a fait savoir de telle façon qu’il ne pût, ni quant à présent, ni plus tard, y avoir, même pour un Allemand, le moindre prétexte à querelle. Les manigances les plus fines de l’astuce germanique échouaient : dès lors, la paix était signée. Il ne reste qu’à l’exécuter

Paix signée n’est point, en effet, paix faite, surtout celle-ci, dont nous répétons que, pendant quinze ans, au moins, elle sera continuellement à faire, et qu’elle ne se fera qu’au prix d’une volonté sans défaillance et d’une unité sans fissure. A nous-mêmes, à toutes les Puissances alliées et associées, plus que jamais sont commandées la stabilité et la vigilance. Ne fût-ce qu’à cet égard, la chute, en Italie, du cabinet Orlando Sonnino est venue tout à fait à contretemps ; et la destruction, par ses équipages, de la flotte allemande internée à Scapa-Flow, serait pour nous plus qu’une déception, si elle n’était un avertissement. La paix que nous signons est, certes, une paix pleine d’honneur. Mais pourquoi y a-t-il dans le monde, jusque chez les nations victorieuses, moins de joie au jour de la paix qu’il n’y en eu au jour de l’armistice ?


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant

RENE DOUMIC.