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obtenu. La lettre d’envoi des Alliés a été rédigée le poing crispé ; certaines de leurs conditions, dans la forme définitive, paraissent avoir été dictées les bras cassés. Comme la réponse de l’Entente suit généralement l’ordre même des Remarques du comte de Brockdorff-Rantzau nous en relèverons, chemin faisant, des signes chapitre par chapitre.

Mais, d’abord, la lettre d’envoi commence par exposer en termes précis, et qu’on ne saurait imaginer plus vigoureux, « le jugement des Puissances alliées et associées sur la guerre, jugement qui est pratiquement (c’est-à-dire : en fait) celui de la totalité du monde civilisé. » Cet arrêt est aussi sévère qu’il est bref et, quoique bref, fortement motivé. « La guerre qui a éclaté le 1er août 1914 a été le plus grand crime contre l’humanité et la liberté des peuples qu’ait jamais commis consciemment une nation se prétendant civilisée. » Crime conçu, combiné, prémédité, préparé, amené, exécuté avec une profondeur d’hypocrisie incroyable, une persévérance de volonté qui durant de longues années ne s’est pas lassée un instant, guettant et provoquant l’occasion, une scélératesse prodigieusement inventive, une cruauté que rien n’a fléchi ni dégoûté. « Pour atteindre leur but, ils ont (les gouvernants de l’Allemagne), par tous les moyens en leur pouvoir, formé l’esprit de leurs sujets à la doctrine que, dans les affaires internationales, la force est le droit. Ils n’ont jamais cessé de développer les armements de l’Allemagne sur terre et sur mer et de propager l’affirmation mensongère qu’une telle politique était nécessaire, parce que les voisins de l’Allemagne étaient jaloux de sa prospérité et de sa puissance. Ils ont cherché à semer l’hostilité et la suspicion, au lieu de l’amitié, entre les nations. Ils ont développé un système d’espionnage et d’intrigues qui leur a permis de susciter des troubles et des révoltes intérieurs et même de faire des préparatifs secrets d’offensive sur le territoire de leurs voisins, de façon à pouvoir, le moment venu, les écraser avec plus de certitude et de facilité. Ils ont, par des menacés de violence, tenu l’Europe dans un état de fermentation, et, quand ils ont constaté que leurs voisins étaient résolus à résister à leurs desseins arrogants, ils ont décidé de fonder par la force leur prédominance. »

Alors ils ont fait naître ou exploité le conflit serbe, à la suite du meurtre de Sérajévo ; et cette guerre qu’ils avaient déchaînée d’une manière astucieuse, en la rendant inévitable, en dépit de tous les efforts d’apaisement et de conciliation, ils l’ont conduite et poursuivie « d’une manière sauvage. » Dès le début, l’Allemagne a doublé son crime d’un second crime, par la violation de la neutralité belge : dans