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dité extraordinaire par la réforme du comte Bernstorff ; j’avais fait copier plusieurs de ces documents ; ces matériaux intéressèrent vivement M. Stolypine, et je me plais à croire qu’ils ne lui furent pas inutiles pour étayer ses propres plans de réforme agraire.

En conférant au paysan russe le droit de propriété individuelle, M. Stolypine créait en même temps pour ce paysan un statut personnel nouveau. Jusque-là, la classe rurale ne jouissait que de droits civiques limités et se trouvait soumise à l’autorité oppressive des communes ; la nouvelle législation constituait un véritable acte d’affranchissement : les cours et les tribunaux spéciaux dont relevait cette classe étaient abolis ; le paysan était libéré de la responsabilité collective devant l’impôt ; il acquérait le droit d’hypothéquer son champ, d’établir des entreprises industrielles, de prendre part, comme propriétaire, aux élections et aux assemblées de zemstvos ; bref, les paysans cessaient de former dans l’État une classe à part et devenaient, pour la première fois, de véritables citoyens russes.

Mais si M. Stolypine créait ainsi la petite propriété rurale, d’autre part, il se refusait catégoriquement à porter atteinte à la grande et à la moyenne propriété et repoussait le principe même de l’expropriation forcée des terres, en faveur duquel s’était prononcée la Douma sous l’influence des cadets et des révolutionnaires. La pensée maîtresse de M. Stolypine était de développer dans l’esprit du paysan le respect de la propriété, sentiment que le servage d’abord, le partage des terres en 1861 et le régime du « mir » ensuite, n’avaient guère contribué à lui inculquer, il est vrai qu’en 1861 les paysans avaient racheté les terres qui leur étaient échues ; mais ce rachat avait revêtu la forme d’un paiement de redevances annuelles qui ne se distinguait presque en rien d’un impôt foncier. Le souvenir d’avoir racheté la terre qu’il possédait s’était donc complètement oblitéré chez le paysan, prompt à écouter ceux qui lui exposaient qu’il devait recevoir gratis le reste des propriétés appartenant à l’ancien seigneur.

Au point de vue économique, la conservation de la grande et de la moyenne propriété apparaissait à M. Stolypine comme la condition essentielle du développement de l’agriculture et du relèvement de la production dans le pays. Une distribution même intégrale de ces terres aux paysans n’aurait apporté à