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l’espoir que ses collègues s’uniraient pour appuyer de toutes leurs forces sa politique auprès de l’Empereur.

Pendant le temps que dura le discours de M. Stolypine, on ne cessa d’entendre, par toute la maison, un va-et-vient de médecins et d’infirmières : à travers portes et cloisons, parvenaient jusqu’à nous les cris étouffés des enfants blessés que l’on pansait ; M. Stolypine ne s’interrompit pas un instant, sa voix ne trahit aucune émotion : nous fûmes profondément impressionnés par ce stoïcisme.

Malgré les premiers remaniements que lui avait fait subir M. Stolypine, le Cabinet était encore loin d’avoir un caractère homogène. Il y avait parmi nous de francs réactionnaires comme M. Schvanebach, contrôleur de l’Empire ; d’autres, comme M. Schéglovitoff, ministre de la Justice, cachaient assez habilement leurs tendances d’extrême-droite qui ne devaient éclater dans toute leur force que plus tard, quand il fut hors de doute qu’elles étaient agréées en haut lieu. Mais telle fut la force de l’éloquence de M. Stolypine, que le Conseil approuva unanimement ses déclarations et s’engagea à les appuyer auprès de l’Empereur.

Les prévisions de M. Stolypine ne tardèrent pas à se réaliser. Il y eut, au cours des journées qui suivirent l’explosion du 25 août, dans le camp réactionnaire et dans l’entourage intime de l’Empereur, une véritable levée de boucliers contre le premier ministre. On réclamait son remplacement immédiat par un dictateur militaire et l’on manifestait ouvertement l’espoir que ce ne serait qu’un premier pas vers la restauration du pouvoir absolu. La situation rappelait beaucoup celle qui avait suivi en France l’assassinat du Duc de Berry, le 13 février 1820. On sait que cet événement fournit au Duc et à la Duchesse d’Angoulême et au parti « ultra » le prétexte d’une violente campagne contre le duc Decazes, qui s’était proposé, par une politique libérale modérée, « de réconcilier la France avec la monarchie des Bourbons. » Mais, tandis que le roi Louis XVIII, malgré son tendre attachement pour le duc Decazes, finit par sacrifier son favori à la poussée réactionnaire qu’il réprouvait dans son for intérieur, l’empereur Nicolas, dont les sympathies secrètes allaient à l’extrême-droite, eut le mérite de donner raison à M. Stolypine et de le laisser exécuter son programme.