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C’est quelques jours après la dissolution de la Douma que le général Trépoff soumit ce plan audacieux à l’Empereur, Nicolas II fut-il tenté de l’adopter et se laissa-t-il aller à donner quelques encouragements au général ? Son caractère flottant et sa tendance naturelle à revenir à l’ancien ordre de choses permettent de ne pas écarter absolument cette hypothèse ; en tout cas, il eut connaissance des pourparlers engagés par le préfet du palais avec M. Milioukoff. Mais ceci est non moins certain : en admettant même qu’il eût été séduit tout d’abord par les propositions du général, l’Empereur ne voulut pas les accepter sans avoir consulté M. Stolypine, auquel il ne tarda pas à en parler spontanément. Bien entendu, M. Stolypine se refusa à courir cette aventure et s’y opposa de toutes ses forces : il en résulta entre lui et le général Trépoff une courte lutte dont il sortit entièrement vainqueur. L’Empereur, définitivement convaincu par les arguments de son premier ministre, ordonna au général Trépoff de renoncer à ses projets et de rompre ses pourparlers avec M. Milioukoff ; le général dut s’incliner devant la volonté formelle de son maître, mais il en conserva une profonde rancune contre M. Stolypine. A partir de ce moment, les sentiments de l’Empereur à l’égard du préfet du palais se refroidirent visiblement ; le général Trépoff en fut vivement affecté, et le choc qu’il en ressentit ne fut peut-être pas étranger à sa mort subite survenue peu de temps après, vers la mi-septembre, pendant que l’Empereur se trouvait avec sa famille à bord de son yacht dans les eaux finlandaises.

Cette fin tragique ne pouvait manquer de donner lieu à beaucoup de rumeurs ; on prononça le mot de suicide ; une enquête sévère établit que la mort avait été causée par la rupture d’un anévrisme ; mais il est plus que probable que la maladie de cœur dont souffrait le général Trépoff fut aggravée par la commotion que lui avaient causée son échec et la perte de la faveur de son maître.

En dévoilant les véritables dessous de l’incident dont on vient de lire le récit, mon but n’est nullement de ternir la mémoire du général Trépoff. Certes, je ne partageais pas ses idées politiques et je blâmais ses méthodes ; mais j’ai toujours eu respect et admiration pour son énergie, son courage magnifigue et son dévouement sans bornes à la personne du souverain. Dans son projet de coup de force, il n’était guidé que par