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ne connaît pas de loi : Il proclamait par-là même la ruine du droit. Car si le droit n’était pas supérieur à tout intérêt quelconque, national ou collectif, il ne serait plus rien. Ce qui constitue essentiellement le droit, c’est qu’il n’y a pas de nécessité contre lui. C’est lui seul qui est nécessaire à l’humanité. Et si les intérêts de la Prusse sont vraiment en opposition avec lui, alors la conscience du genre humain n’a plus qu’à dire : Fiat justitia et pereat Prussia !

En attendant, il reste établi que si l’Allemagne a envahi la Belgique, c’est parce que l’état-major prussien a trouvé que notre pays était le chemin le plus avantageux pour entrer en France. Et comme, en Prusse, la diplomatie est à la remorque de la stratégie, on a fait ce qu’exigeaient les généraux. Il y a longtemps qu’on le prédisait en Belgique et en France, mais il n’est pas indifférent que l’aveu en soit fait par le chancelier de l’Empire allemand.

Chose remarquable ! Cette vérité que le chancelier de l’Empire a eu le mérite de reconnaître en parlant aux législateurs de son pays, le gouvernement allemand semble l’ignorer totalement dans sa déclaration de guerre à la France, qui est du 3 août ; il revient au thème de l’ultimatum, et ce sont de prétendues violations de notre neutralité par la France qui, à ce qu’il prétend, lui donnent le droit d’ouvrir les hostilités contre ce pays. Mais, tandis que l’ultimatum ne faisait état que des « intentions » de la France, la déclaration de guerre lui reprochait des actes. Et quels actes ! « Un aéroplane français qui doit avoir survolé le territoire belge, a été descendu dès hier pendant qu’il essayait de détruire la voie ferrée près de Wesel. Plusieurs autres aéroplanes français ont été reconnus hier, sans contestation possible, au-dessus de l’Eifel ; ceux-là aussi doivent avoir survolé le territoire belge. »

Voilà donc, pour justifier un acte d’une portée incalculable quant à ses conséquences prochaines et éloignées, trois versions officielles qui se contredisent mutuellement : l’une, la vraie, on se la communique entre augures ; les deux autres sont à l’usage du grand public et des soldats. Il va sans dire que ceux-ci ne sauraient trouver leur compte dans les aveux de M. von Bethmann-Hollweg. Ils obéissent au mot d’ordre donné par leur impérial maître ; ils ont besoin de se persuader que l’Allemagne a été traîtreusement attaquée, et que, s’ils ont