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IV. — UN TISSU DE MENSONGES

Tandis que l’ultimatum du 2 août menaçait la Belgique, si elle ne livrait passage aux forces allemandes, de voir « le règlement ultérieur des rapports des deux États laissé à la décision des armes, » le message du 4 août au matin, adressé par M. von Jagow au cabinet britannique, lui donnait « bien positivement l’assurance formelle que, même en cas de conflit à main armée avec la Belgique, l’Allemagne ne voudrait, sous aucun prétexte, annexer le territoire belge. » La contradiction est manifeste, et elle s’explique. Il s’agissait d’obtenir à tout prix la neutralité de l’Angleterre, et dès lors il n’en coûtait rien de lui écrire, à deux jours de distance, tout juste le contraire de ce qu’on avait dit à la Belgique.

Ce n’est pas tout. Après avoir laissé dire, par leur maître, que la France avait l’intention de nous envahir et que c’était pour cette raison que l’Allemagne entrait chez nous, les diplomates berlinois infligeaient à Guillaume II un démenti implicite en oubliant totalement, dans leur justification de l’attentat, la raison alléguée par l’Empereur.

Entre la thèse de l’Empereur et les propos tenus le 8 août par M. von Jagow à sir Goeschen, même contradiction flagrante. Selon l’Empereur, l’Allemagne est obligée d’envahir la Belgique pour repousser l’invasion française. Selon M. von Jagow, il n’y a pas d’invasion, et l’Allemagne se borne à exécuter un plan stratégique. Il est bien permis de penser que Guillaume II dut être médiocrement satisfait de son secrétaire d’État pour les Affaires étrangères ; à la vérité, il dut l’être tout aussi peu de son chancelier. Celui-ci ne se mettait pas en peine, lui non plus, de colorer l’attentat en invoquant quelque légendaire offensive française. Il se gênait encore moins que M. von Jagow pour démentir implicitement son auguste maitre. Il avouait crûment la violation du droit, la lacération du « chiffon de papier. »

De même, au Reichstag, le 4 août, il n’invoquait plus que des nécessités stratégiques. Mais n’était-il pas déplorable que ce jurisconsulte, ce gardien du droit, cet homme d’État qui devrait être la seconde conscience de son souverain ne trouvât pour excuser le crime que la banale raison du chien qui porte le dîner de son maître ? Il disait : Not kennt kein Gebot, la nécessité