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elle soutient que ce n’est pas sur ces bases que nous avons construit. Elle élève une « protestation générale contre la paix de violence. » Puis elle discute les responsabilités et les réparations, expose comment elle imagine la Société des Nations et conçoit le droit de libre disposition des-peuples, ce qui l’amène à des conclusions auxquelles on ne saurait refuser, en somme, le mérite de la netteté, et dont voici les principales : « Les territoires occupés doivent être évacués, par échelons, dans l’espace de six mois. Au cas où la Ligue des peuples se réaliserait, l’Allemagne doit y être admise comme membre avec des droits égaux. L’Allemagne doit administrer ses colonies en qualité de mandataire de la Ligue des peuples. Les dispositions pénales sont repoussées, et on renouvelle la proposition d’instituer une cour de justice neutre, chargée de juger toutes les violations des lois et coutumes de la guerre. »

Traduisons en deux mots, en deux phrases plus brèves : l’Allemagne ne se reconnaît pas coupable. Elle ne se reconnaît pas battue. Ni restitutions, ni réparations, ni garanties. Tout au plus consent-elle, condescend-elle à traiter avec les alliés d’égal à égal et à leur offrir, — derrière le spectre rouge, — une paix blanche.

La rage d’écrire de M. le comte de Brockdorff-Ranlaau et de ses collaborateurs, de la carrière ou de la chaire, ne s’est d’ailleurs pas épuisée à noircir les 143 feuillets des Observations de la délégation allemande sur les conditions de la paix. La pluie de notes n’a pas depuis lois cessé de tomber. Mais la pièce de beaucoup la plus intéressante, la plus significative, le document psychologique, est la lettre d’envoi dont le président de la délégation allemande a fait accompagner son volume même. Dans la lettre se découvre l’esprit. Pourquoi dire qu’il s’y découvre ? Il ne s’y cache pas, il s’y étale ; et ce qui, chez d’autres, eût été amer et impertinent, est ici, à la prussienne, insolent et cynique.

Ce sont, pour débuter, agneaux bêlants à l’abattoir : « Nous étions venus à Versailles en nous attendant à recevoir des propositions de paix sur les bases convenues. Nous avions la ferme volonté de faire tout ce qui dépendrait de notre force pour satisfaire aux obligations acceptées par nous. Nous espérions la paix du droit qu’on nous avait promise. Nous fûmes consternés en lisant dans le projet de traité quelles conditions la force victorieuse de l’adversaire exige de nous. » Un traité aussi dur, l’Allemagne est dans l’impossibilité de l’exécuter : de telles exigences « dépassent la force du peuple allemand. »

Tout de suite, la voix se raffermit, le ton se hausse. « On veut