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bien proprement. Après quoi, les deux compères, dégrisés, rentrent à la chambrée et se couchent.

L’enquête sur la mort du sergent ne donne pas de résultats. Il n’en serait donc rien de plus, si Potru eût été seul le soir du crime. Il était avec Charonneau : une idée infernale est en train de germer dans l’esprit de ce Charonneau, qui n’est pas, comme Potru, un brave et honnête garçon, mais un paresseux et un coureur de filles. Revenu au pays, il va se livrer à un affreux chantage sur Potru et toute la famille Potru, car les Potru sont riches. Ce chantage empoisonne la vie de Potru, qui, sans cela, estimé, aimé de tous, honnête et laborieux, bon fils, époux modèle, réunirait toutes les conditions du bonheur. La peur qu’inspire à Potru ce chantage, c’est toute la pièce. Il y aurait un moyen : ce serait de se débarrasser de Charonneau, comme Macbeth se débarrassa de Banquo. Mais vraisemblablement Potru n’a pas lu Shakspeare. De plus, il a une conscience : mauvaise condition, quand on a commis un crime. Son secret lui pèse. Le fait est qu’il le confie peu à peu à tout le monde et que bientôt c’est le secret de Polichinelle. Il le confie à son grand-père, type de vieux paysan autoritaire, gardien jaloux de la tradition, à cheval sur l’honneur du nom, et qui ne plaisante pas. Instruit de la chose, le vieillard en tire cette conclusion qu’il faut à tout prix empêcher Chadonneau de causer. Potru a fini par épouser Toinon : à elle aussi, il avoue. Apprenant que Potru a tué son sergent, cette bonne épouse ne va pas pour si peu cesser de l’aimer : elle le plaint, c’est-à-dire qu’elle l’en aime davantage. Vraiment il n’y a qu’un trouble-fète : c’est Charonneau. Comment clore le bec à Charonneau ? Nul doute que le grand-père n’en trouve, dans sa caboche solide et rusée, un sûr moyen. Conseillé par un grand avocat de Rouen, il suggère à Charonneau qu’en dénonçant Potru, il risquerait d’être lui-même inculpé comme complice. Charonneau se taira ; Potru recouvrera la tranquillité ; un petit Potru, dont on nous annonce la naissance prochaine, continuera l’honorable lignée des Potru. Tout sera pour le mieux.

Et le sergent ?

Quel sergent ?… Celui qui a été tué ?… Eh bien mais, puisqu’il est tué, il ne réclamera pas…

Ces choses se débitent dans l’obscurité presque complète où sont noyées la salle et même la scène, comme au cinéma. En somme, un gros mélodrame où manque ce qui fait d’ordinaire l’intérêt de ce genre de pièces, je veux dire l’intérêt de curiosité, puisque nous savons, dès le premier acte, quel cadavre il y a entre Potru et