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En 1915, la convocation du Landtag fut subordonnée aux conditions suivantes : la session ne durerait pas plus d’une semaine ; dans les séances plénières et dans les commissions, on n’exercerait aucune critique contre les mesures militaires ; enfin, il ne serait fait mention d’aucune question politique, de quelque nature qu’elle fut. En fait, la session fut si courte que le Landtag n’eut que le temps de voter les crédits sans aucune discussion. Le haut commandement posa les mêmes conditions pour la session de 1916. Sur l’opposition des partis de la seconde Chambre, il fut finalement convenu que la discussion serait permise dans des séances strictement confidentielles de la commission du budget. Les procès-verbaux de ces séances, récemment imprimés[1], nous donnent l’écho des plaintes émouvantes que provoqua la barbarie avec laquelle l’Alsace et la Lorraine étaient traitées par l’autorité militaire.

Celle-ci, avant la guerre, dans ses rapports secrets au Cabinet militaire de l’Empereur, n’avait cessé de dépeindre l’Alsace-Lorraine comme un pays ennemi. Dès la mobilisation, les autorités civiles durent prévenir leurs administrés qu’il suffirait qu’un coup de fusil fût tiré d’une maison pour qu’elle fût aussitôt incendiée et son propriétaire fusillé. Il en résulta que les troupes allemandes, arrivant dans ce pays surexcitées par la crainte de la trahison qu’on évoquait sans cesse autour d’elles[2], se laissèrent immédiatement entraîner à de sauvages répressions. A Bourtzwiller, sous prétexte qu’un coup de l’eu avait été tiré sur un soldat, on fusilla sans la moindre enquête sept habitants pris au hasard et manifestement innocents. Puis, au milieu de la nuit, on réveilla toute la population pour la faire défiler, mains levées, devant les cadavres de ces victimes. Enfin, on incendia une cinquantaine de maisons. Des scènes analogues et encore moins justifiées se déroulèrent à Saint-Moritz, Dalheim et Schwighausen. Des mesures spéciales étaient prises à l’égard des soldats alsaciens-lorrains.

  1. Vertrauliche Verhandlungen der Budgetkommission der zweiten Kammer des Landtags für Elsass-Lothringen in den Kriegsjahren 1916, 1917 und 1918. Strasbourg, Vve Barger-Levrault, 1919.
  2. Les troupes, en passant le Rhin, reçurent l’ordre de charger les armes… A Dornach, un paysan ayant offert de l’eau aux soldats, un officier, le revolver chargé, aborde l’homme avec ces mots : « Sauvez-vous dans votre maison ; tout ce que vous nous offrez est empoisonné. » Vertrauliche Verhandlungen, p. 119.