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manifestation de deux grands pays se sentant attirés spontanément l’un vers l’autre, personne n’oserait bouger. »

Il ne croyait pas d’ailleurs qu’il fût juste d’accuser les Français de préparer la Revanche ; il n’en voyait nulle part la preuve.

« Vous ne seriez pas de bons patriotes si vous ne conserviez pas la pensée que le jour viendra où vous pourrez rentrer en possession de vos provinces perdues ; mais entre ce sentiment trop naturel et l’idée d’une provocation, il y a loin et vous avez maintes fois prouvé, vous venez de le montrer encore, que vous voulez la paix avant tout et que vous saurez attendre avec dignité. »

Il semble que, dans cette audience, l’Empereur se soit donné pour but d’exposer à l’ambassadeur de la République toutes les raisons pour lesquelles il se félicitait d’être en rapport avec la France. Il fit même allusion à « l’admirable attitude » du Président de la Chambre des Députés, M. Charles Dupuy et de la Chambre elle-même, le jour où une bombe avait été jetée dans l’enceinte parlementaire. Montebello entendit, au cours de cette audience, le langage le mieux fait pour flatter son orgueil de Français. L’Empereur s’abstint de lui parler des négociations en cours, mais il n’en fut pas surpris, car il savait qu’elles touchaient à leur terme et que ce n’était plus qu’une affaire de jours.

Le 21 décembre, en effet, il recevait de Giers une lettre « très secrète, » dans laquelle celui-ci lui annonçait, « d’ordre suprême, » que le projet de convention militaire élaboré par les États-majors russe et français, tel qu’il avait été approuvé en principe par l’Empereur, pouvait être considéré désormais comme définitivement adopté dans sa forme actuelle. Ce projet, signé en août 1892 par Obroutcheff et Boisdeffre, constituait donc un traité définitif et couronnait en les complétant tous les arrangements précédents.

A ce titre, la convention militaire devait être revêtue de la signature de l’ambassadeur de France et de celle du ministre des Affaires étrangères de Russie. C’est le 31 décembre que, le traité ayant reçu la sanction suprême de l’Empereur, les deux diplomates le signèrent. Giers, ayant pris la plume, fit le signe de la croix et, les yeux au ciel, parut se recueillir dans une courte prière. Et comme Montebello le regardait étonné, il dit : « Je viens de demander à Dieu d’arrêter ma main si,