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à bord du Marceau, son toast à Carnot, la Marseillaise jouée sur sa demande devant lui, devant la famille impériale et écoutée debout, les formes nombreuses et diverses sous lesquelles ont fraternisé à la face du monde deux grandes nations, ce sont là des souvenirs désormais fixés dans la mémoire des hommes et entrés dans l’Histoire comme le premier tableau d’un épisode magique dont la venue de l’escadre russe en France devait fournir le second. Contentons-nous de rappeler que ces fêtes produisirent en Europe un effet foudroyant et que partout, elles furent considérées comme le gage d’une politique de paix.

A la Tribune du Parlement austro-hongrois, le ministre comte Kalnocki le déclarait et ajoutait qu’il n’y avait rien de changé dans le monde. A Berlin, le chancelier Caprivi tenait le même langage ; il voyait dans l’événement la restauration de l’équilibre européen. Le même jour, à Bapaume, à l’inauguration du monument élevé à la mémoire du général Faidherbe, M. Ribot pouvait justement affirmer que l’entente de la Russie avec la France apportait une garantie nécessaire à l’équilibre général. Enfin son caractère pacifique était encore démontré par la visite qu’en quittant la Russie, la flotte française fit à la reine d’Angleterre.

Mais il ne suffisait pas que le rapprochement des deux pays se traduisit par un accord dont les termes d’ailleurs n’étaient pas encore arrêtés et précisés. Nous avons dit plus haut que M. de Freycinet, ministre de la Guerre, souhaitait ardemment qu’il fût complété par une convention militaire et tel était le but que devait poursuivre, au cours de sa mission, le marquis de Montebello. Le gouvernement russe n’était pas encore décidé à entrer dans cette voie. Il semblait vouloir s’en tenir à l’accord arrêté déjà en principe. Mais une circonstance particulière commença à changer ses dispositions ; M. de Giers fut amené en France par l’état de sa santé. Il était à Paris au mois de novembre 1891, Mme de Freycinet et Ribot eurent avec lui d’importants entretiens confidentiels ; le ministre russe y fit preuve d’une disposition très favorable à leurs vues, tout en laissant entendre que rien ne pressait, aucune menace de guerre ne pesant actuellement sur l’Europe. Au mois d’août précédent, il avait vu le roi d’Italie et lui avait expliqué comment le renouvellement de la Triple-Alliance était la cause du rapprochement qui venait de s’opérer entre la Russie et la France. Du reste, il était