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rappeler ici. L’ambassadeur Mohrenheim en avait été le témoin et en envoya à de Giers un récit circonstancié. Son rapport lui valut la réponse suivante du ministre russe :

« Nous avons pris connaissance avec le plus vif intérêt des détails que vous nous avez donnés sur les incidents de ce voyage plus osé que sage et dont le but était facile à deviner. La conduite du gouvernement français a été on ne peut plus correcte et on ne peut plus courtoise ; ce voyage ne pouvait amener qu’un froissement de plus entre les deux pays en réveillant d’un côté des souvenirs douloureux et en causant de l’autre une blessure d’amour-propre. »

De Giers, qui n’ignorait pas que Guillaume II avait ordonné les mesures préparatoires de la mobilisation, prêt à franchir la frontière si sa mère était l’objet de quelque avanie, exprimait l’espoir que ce nuage se dissiperait et que les mesures prises par l’empereur Guillaume ne seraient pas de longue durée. Il ajoutait ensuite : « L’entente cordiale qui s’est établie si heureusement entre la France et la Russie est la meilleure garantie de la paix. Tandis que la Triple Alliance se ruine en armements, l’accord intime des deux pays est nécessaire pour maintenir en Europe une juste pondération des forces. »

Au reçu de cette lettre qui arriva le 8 mars à Mohreinheim, il l’apporta tout courant au ministère des affaires étrangères ! Il n’avait pas voulu, dit-il à M. Ribot, attendre jusqu’au mercredi suivant, jour de la réception diplomatique, pour lui donner connaissance de ces déclarations d’une si grande importance dans les circonstances présentes. Il lui fit remarquer que jamais le gouvernement russe n’avait parlé avec autant de netteté : « L’accord entre les deux pays est maintenant solide comme du granit. »

Il n’en est pas moins certain, que la paix du monde avait été en péril. L’impératrice devait quitter Paris le 27 février pour se rendre en Angleterre, et déjà une légion de patriotes s’était donné rendez-vous à la gare du Nord, résolue à manifester. M. de Freycinet dans ses souvenirs dit avec raison que si les cris injurieux qui avaient salué l’arrivée du roi d’Espagne à Paris en 1883, s’étaient renouvelés, on serait entré dans l’irréparable. Ce danger fut conjuré par les dispositions que prit le gouvernement français. Le train impérial qui devait se mettre en route à onze heures du matin, partit à dix heures et quand les manifestants se présentèrent devant la gare, il était