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D’autre part, et presque au même moment, s’ouvraient secrètement entre Paris et Saint-Pétersbourg les premières négociations qui, à trois ans de là, devaient aboutir à l’alliance franco-russe. Déjà elles avaient eu un prologue. Peu de jours après la constitution du ministère où M. de Freycinet avait pris la présidence du Conseil et conservé le portefeuille de la Guerre, l’ambassadeur de Russie avait fait auprès de lui une démarche officieuse et secrète à l’effet de savoir si le gouvernement français serait disposé à faire fabriquer des fusils pour le compte du gouvernement impérial dans sa manufacture d’armes de Châtellerault. La réponse ayant été aussi favorable que rapide, on ne tarda pas à s’entendre, ce qui donnait lieu pour la suite aux rapports les plus cordiaux entre les Etats-majors des deux pays ; ces rapports devaient rester longtemps dans l’ombre, mais ceux qui les connaissaient voyaient sans appréhension les efforts multiples de Guillaume II pour maintenir entre lui et l’empereur Alexandre la cordialité au moins apparente, sous laquelle l’un et l’autre dissimulaient plus ou moins leurs véritables sentiments. Ceux d’Alexandre devenaient de jour en jour plus précis et plus nets, comme si des scrupules de sa conscience, de ses perplexités et de ses hésitations, se fût élevée peu à peu une lumière plus vive qui lui montrait maintenant où était le véritable intérêt de son empire. Il est vrai qu’à défaut de cette lumière, les événements tendaient de plus en plus à cette démonstration. L’alliance austro-allemande dans laquelle les ténébreux calculs de Bismarck et les ambitions néfastes de Crispi étaient parvenus à introduire l’Italie, expirait au mois de juin 1891 et, dès le mois de mars, on avait acquis l’assurance dans les gouvernements européens qu’elle serait renouvelée.

Puis, se produisait tout à coup un incident qui, sans doute, ne résultait que d’un désir exprimé par l’impératrice-douairière d’Allemagne, veuve de Frédéric III, mais qui pouvait être interprété comme une provocation de son fils susceptible de déchaîner la guerre entre l’Empire et la République française.

A l’improviste, dans la seconde quinzaine de février, elle arrivait à Paris, incognito soi-disant, mais en de telles conditions que presque aussitôt sa présence n’était plus ignorée. Les détails de l’événement ont fait trop de bruit et sont encore trop présents à toutes les mémoires pour qu’il soit nécessaire de les