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papiers étaient saisis en même temps que les instruments meurtriers qu’elle avait fabriqués et dont les expériences auxquelles ils furent soumis dans les bois de Meudon produisirent des effets foudroyants. De tous les services que nous avions déjà rendus à la Russie, c’est peut-être celui dont Alexandre III se montra le plus reconnaissant. Il le dit à Laboulaye, avec une effusion qui ne permettait pas de mettre en doute sa sincérité.

Ainsi ce n’était pas seulement l’intérêt qui, de plus en plus, le rapprochait de la France ; c’était aussi la gratitude et, dans une âme comme la sienne, ce lien sentimental n’était pas le moins fort ni le plus facile à briser.

Cette gratitude ne tarda pas à se manifester par l’empressement qu’il mit à répondre à un désir exprimé par le gouvernement français. Des grandes manœuvres des troupes russes devaient avoir lieu aux environs de Varsovie à, une date prochaine. Deux armées se rencontreraient, commandées l’une par le général Gourko, l’autre par le général Dragomiroff ; Guillaume II, avec une suite nombreuse, devait assister à ces opérations auxquelles aucun étranger, si ce n’est ses officiers, n’avait été convié. Laboulaye fut chargé de demander qu’exception fût faite pour le général de Boisdeffre, ancien attaché militaire à Saint-Pétersbourg et maintenant chef de l’Etat-major. La réponse ne se fit pas attendre ; l’autorisation fut accordée avec un empressement qui en doublait le prix.

Les manœuvres avaient été fixées à la seconde quinzaine d’août ; les troupes qui devaient y prendre part étaient concentrées à Tsarkoé-Sélo ; le 13, le camp fut levé après une bénédiction solennelle des drapeaux, et les troupes partirent pour Narva. Les empereurs Alexandre et Guillaume les suivirent de près, le souverain allemand accompagné de son frère le prince Henri de Prusse, du prince Adalbert de Saxe-Altenbourg, du chancelier de Caprivi, du comte d’Eulenbourg, des généraux von Hahnke et de Wittich et du conseiller Lecanus. Le général de Boisdeffre et ses aides-de-camp figuraient dans l’escorte du Tsar. Guillaume s’y rapprocha de lui et parut se plaire à l’entretenir des questions qui pouvaient les intéresser l’un et l’autre ; mais c’est surtout de la part d’Alexandre qu’il fut l’objet d’attentions particulières, ce qui ne fut pas agréable aux Allemands,