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camps. On ne pouvait être à la fois l’allié de la Russie et l’allié de l’Autriche. Bismarck, malgré tout son savoir-faire, n’était pas parvenu à rapprocher les deux Empires : tous ses efforts s’étaient brisés le jour où Alexandre III avait compris qu’en acceptant les combinaisons du chancelier, il ferait les affaires de l’Allemagne, mais non les siennes. Là où Bismarck avait échoué, son successeur, le comte de Caprivi, pourrait-il réussir ? On ne le croyait pas. Sa loyauté militaire et les habitudes de son esprit le mettaient hors d’état de jouer un rôle machiavélique… Il avait dit un jour : « Je n’abandonnerai pas l’Autriche et je ne tromperai pas la Russie. » Donc, deux camps existaient et Alexandre se serait trouvé seul dans le sien s’il n’avait eu la France à son côté. Il s’en rendait compte avec une fermeté et une prévoyance révélatrices de la transformation que dix ans de pouvoir avaient opérée dans son esprit.

Ce qui prouve que ce n’est pas à la légère qu’il a pris ces résolutions, c’est l’opinion qu’il exprimera à Laboulaye, en 1891, à la veille du jour où se concluera l’alliance.

« Il y a des gens, observe-t-il, pour s’étonner que la Russie qui représente le principe monarchique, soit en termes amicaux avec la République Française ; mais je ne suis pas de leur avis. D’abord, votre régime est devenu très convenable, de même que votre Président est très honorable. Et puis, je ne vois pas comment ils seraient remplacés ; la France est satisfaite de ses institutions et n’a pas envie d’en changer. Il n’y a rien à dire qu’à lui souhaiter la stabilité ministérielle qui lui manque encore. » Voilà certes des déclarations bien inattendues dans la bouche qui les formule et lorsqu’on se rappelle les préventions, les préjugés, les défiances d’Alexandre III envers la forme républicaine, on ne peut qu’être surpris de le voir reconnaître que les mérites ou les défauts d’un gouvernement résultent moins de sa forme que des principes dont il s’inspire.

La conversion d’Alexandre était d’ailleurs de fraîche date, car l’année précédente, étant à Berlin, il disait non sans amertume à Jules Herbette, ambassadeur de France en Allemagne : « Il faut souhaiter qu’il y ait chez vous dorénavant moins d’instabilité ministérielle et de divisions de partis. » — « Sire, avait répliqué Herbette, la préoccupation persévérante de reconstituer nos forces militaires est toujours restée au-dessus