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rôle. Équité et intérêt s’accordaient donc pour demander à nos populations exotiques l’aide dont la mère-patrie en péril ressentirait très vite le besoin : en fait, des centaines de mille hommes, solides paysans d’Asie et d’Afrique, s’agrippant côte à côte avec leur frère, le paysan de France, à sa glèbe sainte.

Cette conception coloniale peut-être inattendue n’entra point dans les vues de tous. Aux premières ouvertures que j’en fis, il me fut péremptoirement répondu : « Nous mettrons en ligne pour le printemps de 1916 huit bataillons, huit beaux bataillons sénégalais, pas un de plus !… » Huit ? Pourquoi huit ? Ce chiffre arbitraire, de hasard, mesurait-il la capacité de notre réservoir noir ou les limites de nos facultés d’absorption ? Le moment paraissait mal choisi pour une expérience de malthusianisme militaire.

Deux députés jeunes, pleins de la fièvre d’énergie que leur valait la pratique de la guerre vécue dans la troupe, y parèrent. L’un d’eux, M. Pierre Masse, y avait conquis sa croix de guerre et ses galons de capitaine, il fut, plus tard, sous-secrétaire d’Etat à la Justice militaire ; l’autre, le regretté Maurice Bernard, tué depuis en avion, faisait la campagne comme lieutenant de chasseurs à pied. De vues échangées résulta une proposition de loi, déposée le 16 septembre 1916, par Mme Pierre Masse, Maurice Bernard et Maurice Ajam. Prévoyant la création d’une armée indigène tirée de toutes nos colonies, hormis l’Afrique du Nord, elle y instituait en fait, par des moyens appropriés, un système de mobilisation inédit, capable de provoquer et d’absorber la contribution humaine maxima de nos possessions à la défense nationale. À ces projets, adhérèrent sans retard, publiquement et même avec éclat, les plus illustres de nos grands soldats coloniaux, créateurs de notre empire d’outre-mer, les généraux Archinard, Gallieni, alors gouverneur de Paris, et Pennequin, enfin des écrivains convaincus qui s’étaient renseignés de visu, en tête desquels il faut placer M. Paul Adam. Au cours d’un long entretien seul à seul, ménagé dans une maison amie, avec M. Briand, je pus, en outre et tout à loisir, lui exposer les Conséquences fécondes de travaux dont, pendant la paix, le général Mangin l’avait d’ailleurs tenu au courant. Le Président du Conseil ne cacha point l’intérêt considérable qu’il attachait à la question : elle était assurée de trouver en lui, personnellement et comme chef du