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Le feu de l’artillerie, dit le rapport de son chef, particulièrement de la grosse, ainsi que ses effets étaient inconnus de lui. Il n’en a ressenti aucune surprise et on peut dire qu’il s’en est amusé. Journellement, le bataillon était arrosé nuit et jour, par des bordées de shrapnells et d’obus de gros calibres. Dès le deuxième jour, les noirs s’en amusaient.

De Reims, on s’en alla à la Maison-Blanche, près d’Arras, et de là, le 2 novembre, à Linghen, proche la célèbre « Maison du passeur. » Le 3, sur l’Yser, le bataillon attaquait « en terrain complètement découvert comme un tapis de billard, coupé de 50 mètres en 50 mètres par des canaux de 4 à 5 mètres de large et de 2 mètres de profondeur.

Il a dû faire pour cette attaque une des choses les plus difficiles à la guerre, même pour une troupe très manœuvrière : un déploiement sur l’oblique face à droite, sous le feu de l’artillerie ennemie, en terrain absolument découvert et coupé de canaux, la droite à 10 mètres en avant de son dernier couvert.

Ce déploiement n’aurait pas été possible pour une troupe d’instruction moyenne. Les Sénégalais l’ont fait homme par homme sous un feu effroyable d’artillerie, d’infanterie et de mitrailleuses, en subissant relativement peu de pertes. De huit heures du matin à la tombée de la nuit, le bataillon est resté sous un feu des plus violents… Pas un homme n’a bronché et la progression en avant a continué sans à-coups… Pour couvrir le flanc gauche du bataillon découvert, je dus faire faire, sous le feu, une série de mouvements à deux compagnies et à la section de mitrailleuses pour les placer en échelon vers ma gauche. Ce mouvement fut exécuté comme sur le terrain de manœuvres… Le matin, alors que, de toutes les patrouilles que j’avais poussées de l’avant, pas une n’était rentrée (elles avaient toutes été anéanties), le bataillon a repris l’offensive contre les tranchées allemandes. Il a fait de même le soir et le lendemain matin, pendant trois nuits et deux jours…

Le 9 novembre, les hommes descendent de tranchée le matin, trempés jusqu’aux os. Le soir, à 8 heures, le bataillon est reporté en avant pour faire une attaque sur le flanc de l’ennemi. Il est renforcé par trois compagnies de tirailleurs algériens mises à ma disposition. En pleine nuit, sous le brouillard glacial, il faut franchir de nouveau des canaux de 50 en 50 mètres, je mets huit heures pour franchir 800 métrés. J’ai à ma disposition une section du génie pour couper les fils de fer allemands. Je dois faire démonter les portes et les persiennes d’une maison d’éclusiers pour franchir les canaux. Lorsqu’un