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contemporains qui, ne le prévoyant pas, ne l’ont point ménagé. Le succès de la lutte était fort douteux, et il devait l’être.

Car, du point de vue spirituel, entre les deux procédés en conflit, — le droit exercé par le chanoine titulaire décédé de se choisir un coadjuteur, et le droit revendiqué par le chanoine tournaire de disposer des charges vacantes pendant son « règne, » — y avait-il une grande différence de qualité morale ? Chacun d’eux n’était-il pas un trafic prévaricateur, ici, fortuit et rapide, là, de longue haleine et prémédité ? L’un et l’autre n’empêchaient-ils pas le libre accès des ecclésiastiques les plus dignes, et le libre choix du Chapitre tout entier ? À ne regarder la chose que de haut, Jacques Bénigne et Erric de Saintignon se valaient. Saint Charles Borromée ou Mgr Pavillon les eussent pu renvoyer dos à dos.

On pouvait donc se mettre au point de vue réaliste de l’utilité. Mais alors, franchement, n’était-ce pas moins à Bossuet, métèque bourguignon, que devait légitimement aller la sympathie du Chapitre messin, qu’à Saintignon, homme du pays, présent, déjà connu ? Puis, l’intérêt du Chapitre était plutôt le sien. Ce que, partout, tous les chanoines désiraient principalement, c’était d’être maîtres, individuellement, de leur propre charge et d’en tirer le maximum de lucre et de satisfactions d’amour-propre. Le droit de prendre un coadjuteur, droit qui permettait à chaque chanoine de calculer à loisir et d’adjuger au plus offrant, était à la fois plus flatteur pour leur vanité et plus rémunérateur pour leur bourse que ce « droit du tournaire, » que beaucoup d’entre eux n’auraient peut-être jamais à exercer.

De plus, au Parlement, la faveur n’était pas, ce semble, acquise au fils du collègue. Peut-être bien trouvait-on un peu encombrante la famille de ces immigrés. Un Jacques Bretagne était chanoine, avait été grand doyen et grand archidiacre de Toul. Un Jean Bretagne devenait abbé de Saint-Gorgon de Metz. Un Claude Bretagne, abbé de Haute-Seille. Charles Bretagne devait en 1665 succéder à Jean Bretagne. Les Bretagne abusaient. On le faisait sentir aux Bossuet. De plus, pour habile qu’il fût, le père de Jacques Bénigne n’en était pas moins honnête. Les mérites mêmes d’énergie qui l’avaient fait envoyer à Metz et à Toul par le Roi, n’étaient pas toujours faits pour plaire aux magistrats du crû. Ce Dijonnais,