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— grâce à ces leçons de choses initiales dont l’empreinte est toujours si forte, — pénétrée doucement de la nécessité, qui s’impose au christianisme, de tenir compte de la réalité. Un « lévite » enfermé dans le temple, un scholar muré dans ses livres, n’ont, — si du moins ils ont jamais existé en cette pureté typique, — rien de commun avec le théologien a l’air libre qu’il est. Notez, sur quoi, même aux époques et sur les points où Bossuet sera plus tard si impérieux, se fondera principalement son intolérance. Sur des prétentions a une infaillibilité d’ordre intellectuel ? Sur l’orgueil des préférences d’école ? Non. Sur des raisons d’ordre pratique. C’est comme « dangereux » qu’il détestera Richard Simon, et les Cartésiens, et Fénelon ; il les combattra au nom de certaines « utilités, » maîtresses auxquelles tout doit céder, même les considérations de pensée, même les textes » s’ils en ont qui les encouragent, et qui les égarent.

De là, aussi, la couleur de la piété de Bossuet. Ses premiers rapports avec la sociéyé polie étaient flatteurs. Il aurait très bien pu imiter les jeunes clercs qui, vers la même époque, furent provisoirement accaparés par ce grand monde marchant alors d’une si belle allure, qui furent séduits par ses élégances et par ses plaisirs : Rancé, Le Camus, Pontchâteau. Ceux-là s’y plongèrent, je ne dis pas dans les bas-fonds, mais à fond, — et ils eurent, plus tard, besoin, pour s’en retirer, du violent coup de barre de la « conversion. » Lui, non. Ce Bourguignon, bourgeois et un peu rude, ne sera pas atteint de mondanité proprement dite. J’assurerais bien qu’il ne promène pas dans les salons, comme Rancé, la vanité d’une chevelure frisée et poudrée, d’un justaucorps violet, de jabots de dentelles et d’émeraudes aux manchettes[1]. Mais je conviendrais aussi sans difficulté que, dans ces milieux, il ne se déplut point. Les souvenirs de l’abbé Le Dieu nous renseignent à cet égard. Vous vous souvenez de ce portrait, gauche et joli, que le bon abbé fait du « jeune Bossuet, » frais, avenant et souriant, « plein d’agrément et de bonnes grâces, » ayant avec ; « toute la beauté du visage les manières les plus engageantes… Quel feu ! Quelle vivacité !… » Quel esprit « poli et orné de toutes sortes de grâces des Anciens ! » Il était « dans cette fleur

  1. Voir le P. Serrant, ouvrage cité, p. 27-20.