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Une foule de femmes voilées, riant et bavardant un peu haut, nous attendaient à la porte. Laides, jolies ? sait-on jamais ? dans ces paquets de mousseline et de laine ? Mais quels yeux, quels bras charmants ! Dès que les Askris apparurent, bien minablement vêtus de défroques européennes, — vestes kaki, jambières dépareillées, godillots trop larges pour leurs jambes maigres et nerveuses de grands garçons mal nourris, — toutes ces Aïcha, ces Zara, ces Yasmin, poussèrent des youyous d’allégresse, et traînant dans la poussière leur haïck de laine et leurs babouches fatiguées, brodées de fils d’or et d’argent, elles accompagnèrent les soldats, échangeant avec eux de petits cris d’adieu, de cette voix aigrelette et murmurante, qui sort du voile de mousseline comme un pépiement d’oiseau.

A mesure qu’on s’éloigne de l’enchevêtrement des ruelles qui forment le cœur de la ville, des chemins plus larges s’en vont entre des murs de jardins, derrière lesquels les arbres et les plantes sont soustraits aux regards aussi jalousement que les femmes. Toutes ces pistes poussiéreuses aboutissent aux remparts, dont la masse formidable, flanquée d’un millier de tours carrées, encercle Marrakech. Autour de cette énorme muraille, qui s’allonge sur plus de trente kilomètres, ébréchée dans ses tours, édentée dans ses créneaux, mais d’une allure toujours grandiose, les jardins de palmiers et d’oliviers font presque de tous les côtés une seconde enceinte à la ville. Quelquefois, ces jardins s’approchent jusqu’à toucher la muraille, et les palmiers penchent leurs têtes sur les créneaux délabrés, et dans le bleu du ciel les branches toujours frémissantes se mêlent à la terre rosée qui s’effrite. Mais le plus souvent, au pied des murs et des tours, s’étend un terrain vague, d’un extraordinaire aspect. Partout des trous béants, dont la terre est rejetée sur les bords, des excavations profondes qui ont servi naguère à creuser des galeries par où arrivent de très loin des eaux de source à Marrakech. Beaucoup de ces aqueducs souterrains se sont effondrés au cours du temps ; on a creusé de nouveaux trous, et tous ces orifices de puits, vivants ou morts, bouleversent le terrain, le hérissent d’étranges pustules. Ajoutez à ce chaos des monticules aux profils bizarres, formés des immondices rejetées par les siècles hors de la ville ; des cimetières sans clôture, où les chiens viennent, la nuit, fouiller avec leurs pattes ; quelque mausolée solitaire ; un arbre