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du Hohenzollern, et celle de Bethmann, et celle de Jagow, avec le même souci d’examen scientifique que s’il se fût agi de quelque fraude commise dans un lointain passé. C’est au nom même de ses procédés d’historien qu’il demandait des comptes aux bourreaux. Et cédant à sa naturelle éloquence, il montrait ensuite, en un grand tableau d’histoire, ce qu’avait été l’âme belge vis-à-vis du guet-apens.

Une fois achevé ce manuscrit, Godefroid Kurth ne le conserva pas : son ami M. Bacha l’emporta, pieusement, à la bibliothèque royale de Bruxelles, et l’y mit à l’abri des regards ennemis. La veuve de Godefroid Kurth a bien voulu nous en donner communication. Le ministre Beernaert déclarait naguère que le Manuel d’histoire de Belgique de Kurth était un « merveilleux abrégé » d’histoire nationale : l’héroïsme belge, tel que l’a décrit et commenté Kurth, ajoute à ce « merveilleux abrégé » une page plus merveilleuse encore.

GEORGES GOYAU.


DECLARATION DE L’AUTEUR

La Belgique était jusqu’au 3 août 1914 le jardin de la civilisation européenne : elle n’en est plus aujourd’hui que le cimetière. Pourquoi ces villes détruites, ces villages brûlés, ces bibliothèques anéanties ? Parce qu’elle a été fidèle au devoir. Elle avait assumé devant l’Europe l’obligation de garder sa neutralité. Un jour, un des cinq protecteurs de cette neutralité lui a proposé un marché déshonorant : trahir la foi jurée en lui ouvrant une porte qu’elle s’était engagée à tenir fermée. Elle a refusé : il l’en a châtiée.

S’il s’était borné au massacre, à la destruction et à l’incendie, cela ne serait rien. Nous y sommes habitués. Pendant quatre siècles nous avons été les souffre-douleur de l’Europe. Les champs des batailles internationales sont chez nous. Les nations ont vidé leurs querelles sur notre sol ; et les quatre-vingt-trois années de paix que nous avons goûtées de 1831 à 1914 n’ont été qu’un intermède heureux dans une longue chaîne d’infortunes imméritées.

Mais il n’a pas suffi à l’ennemi de nous accabler au point de ne nous laisser, selon la formule prussienne, que les yeux pour pleurer. Nous avions tout sacrifié pour sauver notre honneur : c’est notre honneur qu’il a entendu nous enlever, semblable au bourreau antique qui violait sa victime avant de l’égorger. Pendant qu’il nous bâillonnait pour empêcher le cri