Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette chapelle fleurie. Tout y est grâce, repos, harmonie. Les inscriptions qui couvrent les murailles et les tombes, n’enferment dans leurs lignes, d’une fantaisie divine, que des phrases pompeuses et vides, des louanges hyperboliques, une poésie de convention où rien ne rappelle les tragédies saàdiennes et ces luttes fratricides « à faire blanchir les cheveux et à rendre caducs des enfants à la mamelle » dont cette ville de Marrakech fut le théâtre sanglant. C’est toujours la même rapsodie, qu’il faut lire sous cette calligraphie d’une distinction suprême :

Salut au mausolée, enveloppé de miséricorde,
Et dont la tombe est ombragée par les nues !
Les effluves de la sainteté s’en dégagent
Comme un parfum,
Et par lui les brises soufflent jusqu’à nous.
À cause de ta mort,
Le soleil de la foi s’est obscurci,
Et les sept sphères se sont voilées de ténèbres.
Les piliers de la gloire se sont écroulés de douleur
Et les sept cieux ont tremblé,
En apprenant la nouvelle de ton trépas.

Dans tout ce pieux bavardage, qu’est devenue la réalité brutale ? Manifestement les poètes n’ont été occupés qu’à jeter des fleurs sur des tombes. La tradition leur commandait de n’écrire sur ces marbres et ces murailles que des choses apaisées et apaisantes. Et puis eux-mêmes pouvaient-ils imaginer rien d’autre ? L’inspiration arabe ne s’est jamais épanouie que dans le lyrisme amoureux. À croire ces inscriptions, ce ne sont pas des princes frénétiques, brutaux, sensuels, passionnés du pouvoir, souvent d’un sadisme cruel, qui sont enterrés là, mais des amants malheureux, de pieux imans, des poètes. Et les pigeons et les colombes, tous les oiseaux de la tendresse qui entrent par les portes ouvertes, sont chez eux, parmi ces tombes où la poésie musulmane n’a développé que les entrelacs gracieux de sa rêverie un peu fade sur de tragiques destins.

Dans cette brillante chapelle, l’essence même du génie arabe semble reposer, comme à Florence l’esprit de la Renaissance dans la chapelle des Médicis. À Fez, on ne serait point surpris de rencontrer cette merveille. Mais ici, à Marrakech, dans cet immense fondouk d’ânes, de mulets et de chameaux ! Ce petit