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tous de la forme d’un bateau renversé la quille en l’air sur une plage, les uns très longs, faits, semble-t-il, pour des corps gigantesques, les autres, tout petits, à la mesure d’enfants nouveau-nés. Là reposent quelques-uns des princes saadiens qui vécurent, il y a trois cents ans, dans le palais détruit d’El Bedi. Si l’on en croit le Nozhet et Hadi, la Récréation du Chancelier — titre charmant pour un livre d’histoire ! — le premier personnage enterré là, et qui fit de cet enclos un endroit sanctifié, serait le bienheureux patron, le pôle brillant, le maître dans la vie droite, la source de vérité, Abou Abdallah Sidi Mohammed ben Seliman Eldjezaùli, l’auteur fameux d’un petit recueil de prières en l’honneur du Prophète. Et après lui le chérif Abou Abdallah Elkaim, qui chassa les Portugais des forteresses du Souss où ils s’étaient établis ; le chérif Aboulabbas et ses enfants garçons et filles, massacrés par le caïd Ali ben Abou Bekr Azikki, gouverneur de Marrakech ; le chérif Abou Abdallah Mohammed Eccheikh, assassiné par les Turcs ; le chérif Moulay Abdallah qui pratiquait l’alchimie, au mépris du proverbe : « Il y a trois choses que vous devez éviter, car elles vous entraîneraient a trois autres choses : ne buvez pus de sirop, vous seriez amené à boire des spiritueux : abandonnez la recherche de la pierre philosophale, cela vous conduirait à la sophistication et à la fraude ; surtout évitez le commerce des vieilles femmes, vous voudriez ensuite en fréquenter de trop jeunes ; » le chérif Aboulabbas Moulay Ahmed et Mansour, le Doré, gloire de la dynastie saàdienne, et qui mourut, empoisonné peut-être par un de ses fils au moyen d’une figue fleur, à l’instigation d’une esclave concubine, l’orgueilleuse Elcheizouran ; son fils le prince Zidan qui rendit l’âme dans son lit ; le chérif Abou Mérouan Abdelmalek, objet de scandale par l’abus qu’il faisait des boissons fermentées.et que sa garde de renégats chrétiens assassina un jour qu’il était ivre ; le chérif Eloualid, grand amateur de musique, égorgé lui aussi par ses chrétiens renégats ; le chérif Moulay Mohammed Eccheickh, qui, dans les délices d’El Bedi, oubliait ses devoirs de Sultan sous l’ombrage des cognassiers, près d’une, femme drapée dans des robes couleur de safran et de piment ; enfin, le chérif Moulay Elabbas, dernier des princes saàdiens, traîtreusement mis à mort par ses oncles de la tribu des Chébanâ.

Cette effroyable histoire de sang n’est écrite nulle part dans