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ni même un luxe quelconque, si ce n’est un portique, fort mal en point lui aussi, que soutenaient jadis deux colonnes de marbre, dont l’une, encore debout, est posée la tôle en bas, et dont l’autre, gisante dans l’herbe, est remplacée par une béquille de bois grossièrement équarrie. Un palmier très solitaire se penche au milieu de cet oubli, comme prêt à s’écrouler lui aussi.

Aucune porte ne défend l’accès de ces pavillons ruineux. On passe de plain-pied des orties de l’enclos dans une chambre merveilleuse, au milieu de laquelle sont posées sur le sol, d’une façon tout à fait inattendue, trois tombes qui ressemblent à trois longs cercueils de marbre. Autour de ces trois tombes, s’élancent des colonnes, sur lesquelles s’appuient des arcades et la haute voûte d’un plafond étincelant de reflets d’or et de couleurs passées. Une simplicité, une proportion admirables. Cela rappelle les plus beaux ouvrages de l’art grec ou de la Renaissance italienne. Et tandis que l’esprit se réjouit de l’harmonie de ces lignes, les yeux découvrent avec enchantement une décoration murale d’une richesse, d’une variété, d’une fougue incomparable. Pas un marbre, pas une surface, pas un caisson de cèdre, pas une faïence où ne se déploie une imagination vraiment déconcertante en ressources et en ingéniosité. Il faudrait des jours et des jours pour épuiser un détail infini, qui deviendrait peut-être lassant par sa prodigalité, si la contemplation ne trouvait son repos dans le calme de l’ensemble. Entrelacs, ruisseaux, nids d’abeilles, panneaux couverts d’une écriture dont les lettres se nouent et se dénouent, s’emmêlent et se poursuivent, comme dans nos vieilles tapisseries les lévriers et les lièvres bondissants, tableaux de plâtre ajouré, stalactites, sceaux de Salamon, araignées du Prophète, étoiles et soleils de zelliges, tous les motifs habituels de la décoration moresque se retrouvent ici, mais avec une telle abondance et tant de bonheur dans l’invention, que tout cet art formel et volontaire, le plus éloigné de la réalité qui se puisse concevoir, fait vibrer ces murailles et les anime, pour ainsi dire, de la vivante chaleur de l’esprit.

Dans cette chambre et dans les chambres voisines, moins belles parce que moins bien conservées mais encore très magnifiques, partout d’autres stèles funéraires, les mêmes longs cercueils ivoirins, sculptés, fouillés d’inscriptions merveilleuses,